Dans le disque Confidence de Julien Behr, sorti à l’automne dernier, figurait parmi les pages orchestrales « La Nuit et l’Amour », superbe composition qu’on aurait pu croire née de la plume de Massenet. Sauf que ce morceau n’était pas du chantre de la femme, mais l’œuvre d’une femme : Augusta Holmès, dont la reconnaissance tarde encore bien indûment, à notre époque où l’on s’efforce avec raison de donner aux compositrices la place qui leur revient. De cinq ans la cadette du Stéphanois, Augusta Holmès ne saurait dont être soupçonnée d’avoir subi son influence, puisqu’elle a commencé à composer dès 1861, deux ans avant le Prix de Rome de Massenet. S’il y a une parenté, elle est dans la veine mélodique apparemment inépuisable, accompagnée d’une grande science de l’orchestration. Hélas, Holmès n’a pu faire jouer qu’un seul opéra – au Palais Garnier, malgré tout – même si son catalogue est riche en œuvres vocales.
Pas d’orchestre sur le disque que vient de faire paraître le label Maguelone, mais un choix parmi les quelque 180 mélodies composées par Augusta Holmès. Qui a eu cette excellente idée ? La soprano Aurélie Loilier, mise sur cette piste par L’Oiseleur des Longchamps, dont on ne saurait assez louer le travail de redécouverte de notre répertoire. Fascinée par cette compositrice, la chanteuse s’est aussi passionnée pour la vie privée hors-normes d’Augusta Holmès, courtisée par César Franck et par Saint-Saëns, entre autres, et qui vécut maritalement avec Catulle Mendès dont elle eut cinq enfants (ce qui lui valut notamment d’avoir Henri Barbusse pour gendre). Est ainsi né un spectacle donné en février dernier Salle Cortot, qui évoquait une artiste « indomptable », titre également choisi pour le disque : Aurélie Loilier s’y était fait la tête d’Augusta Holmès, avec ce casque de cheveux qu’on admire sur la toile qui valut le Prix de Rome 1866 à Henri Regnault, où elle apparaît en Thétis apportant à Achille les armes forgées par Vulcain.
Dès la première plage du disque, on ne peut à nouveau s’empêcher de penser à Massenet : même ligne caressante, même efficacité immédiate. « L’éternelle idole » aurait fait un magnifique air d’opéra et évoque les accents de Thaïs ou de la Salomé d’Hérodiade. Tout ne se situe pas à ce niveau d’inspiration, mais il y a de belles réussites dans ce programme plein de diversité. Fait étonnant, qui mérite d’être signalé : partant sans doute du principe qu’on n’est jamais si bien servi que par soi-même, et peut-être pour pousser le wagnérisme aussi loin que possible, Augusta Holmès écrivait elle-même les textes qu’elle mettait en musique. Les années de vie commune avec Catulle Mendès ont pu l’encourager dans la voie d’une mystique de la femme empreinte de sensualité. Et si elle était meilleure musicienne que poète, les vers de ses mélodies ne sont pas pires que ceux que Massenet – toujours lui – choisit tout au long de sa carrière. A part « Invocation » de 1867, le programme rassemble des œuvres composées entre 1884 et 1902, et donc de la maturité de la compositrice. Pas mons de dix premières mondiales au disque sur les seize mélodies gravées ici : autant dire qu’il y a encore du travail pour défricher. Evidemment, on retrouve le tube dont peu de gens savent que Holmès est l’auteur : Trois anges sont venus ce soir, chant de Noël popularisé au XXe siècle par Tino Rossi.
Soutenue sans aucune emphase déplacée par Qiaochu Li au piano, Aurélie Loilier interprète ces poèmes avec une diction qui garde sa clarté en s’élevant au-dessus de la portée (seule l’ « Invocation », fougueuse œuvre de jeunesse, qui cumule notes hautes et vélocité, excède apparemment les possibilités normales d’articulation). Les aigus ne font pas peur à la soprano, qui les donne avec facilité et générosité. Loin de cette internationalisation du chant qui a longtemps menacé nos artistes, la voix a les couleurs que l’on attend pour chanter en français, tout en évitant le piège du pointu ou du surarticulé.
Avis est donc donné à tous les chanteurs courageux : il leur reste encore plus de cent cinquante mélodies à explorer dans le catalogue d’Augusta Holmès.