Du baroque au répertoire contemporain, Kate Lindsey flirte avec toutes les rives musicales, et cet éclectisme relève non d’une ligne directrice qu’elle s’est fixée mais d’un tissage heureux au fil des rencontres et de ses coups de cœur. La mezzo soprano américaine se laisse guider par ses passions. Elle dit d’ailleurs accepter les projets qui la portent vers une sensation d’accomplissement artistique et des défis artistiques à relever. Après Thousand of mails, enregistré pour Alpha Classic, entre opéra et jazz, New York et Londres, en somme là où elle a commencé, et là où elle s’est enracinée, faisant montre déjà d’une belle transversalité musicale, elle revient pour le même label, vers les rivages baroques. Elle explore, cette fois, le destin d’une héroïne, Ariane à Naxos, non de Richard Strauss, mais de trois Maîtres du Baroque, Scarlatti, Haendel et Haydn. Kate Lindsey qui fait viscéralement corps avec son personnage distille ici, un album tout en finesse avec une belle poésie musicale à travers la figure d’une femme meurtrie mais néanmoins combattive.
D’emblée, dans l’Arianna de Scarlatti, on est enveloppé par la force interprétative de la mezzo qui habite avec une grande expressivité les états d’âme d’Arianna, tour à tour tendre, rêveuse et révoltée. Et c’est surtout par la puissance de l’incarnation, par l’intensité vécue des sentiments allant crescendo que Kate Lindsey emporte l’enthousiasme. Et elle est particulièrement à son aise dans ce florilège des contrastes de l’âme humaine. Sur le plan vocal, ce sont toutefois paradoxalement dans les mouvements lents, et non dans les déchainements de l’héroïne, que la chanteuse donne la pleine mesure de son talent et libère l’émotion par son legato envoûtant. Dans les instants de doute et de fragilité, le timbre devient bouleversant, avec de beaux pianissimi notamment dans Ah che son con Teseo. La voix a, de toute évidence, gagné avec le temps davantage en ampleur, ce qui était un peu le talon d’Achille de la mezzo. En revanche, elle semble moins à l’aise dans les mouvements rapides qui bousculent sa ligne vocale et altèrent la clarté et la fluidité de l’expression, paraîssant alors trop théâtralisé dans l’Ingoiatelo notamment. Ces quelques réserves ne modifient cependant en rien le plaisir de l’écoute.
Dans la cantate d’Haendel, Ah Crudel nel pianto mio, Kate Lindsey fait entendre sa superbe voix grave jouant un personnage qui paraît bien connaître l’amour et ses pièges. À l’ardeur solaire et à la vivacité du Di quel bel che il ciel ti diede font place les affres et les déchirements de Per trofei di mia constanza dans lequel elle fait montre d’une belle autorité. Mais c’est vraiment dans Arianna a Naxos de Haydn qu’elle donne la pleine mesure de son talent. Son interprétation de Dove sei , mio bel tesoro est superbe. La voix de cette impeccable musicienne semble à tout moment parfaitement maîtrisée, et les couleurs de son instrument sont encore davantage mises en valeur dans l’aria Ah! che morir vorrei, dont la tessiture centrale rend particulièrement justice au timbre moiré de la chanteuse et clôt le programme de ce disque sur une vibrante intériorité dramatique.
L’ensemble Arcangelo et son chef Jonathan Cohen sont bien plus que de simples accompagnateurs, ils sont une véritable respiration. La rondeur et la souplesse des sonorités permettent de réentendre et de redécouvrir ces pages du baroque avec ce mélange caractéristique de douceur et de fermeté, de rigueur et de flexibilité. Kate Lindsey fait revivre avec passion les tourments de cette héroïne déchirée dans autant de clair-obscurs musicaux où se succèdent airs et récitatifs, tantôt lents, tantôt rapides et auxquels elle donne corps avec un engagement total. Un disque à coeur vaillant hautement recommandable.