C’était en 1984. Le festival d’Aix-en-Provence affichait pour la première fois La Finta Giardiniera, œuvre encore mal aimée (la production des Herrmann à Bruxelles ne viendrait qu’en 1987). Dans le rôle travesti de Ramiro, on remarquait une jeune mezzo scandinave qui avait été en troupe à Bâle et qui venait d’être Chérubin à Marseille, une certaine Anne Sofie von Otter. Cette Suédoise, dont presque personne alors n’avait encore entendu parler, vient de fêter ses 60 ans le 9 mai dernier, et le label Deutsche Grammophon lui a fait un beau cadeau d’anniversaire sous la forme d’un coffret de dix (ou onze) disques, à moins que le cadeau ne s’adresse surtout à ses fans passés, présents et à venir. Et même si l’on n’y trouve pas un seul air de ce Mozart avec qui elle fit ses débuts internationaux, ces classic albums offre un échantillon bien représentatif de l’art de madame von Otter dans toute sa diversité.
Deux disques baroques italiens, deux disques de lieder, deux disques français (mélodies et opérette), un disque dédiés aux compositeurs scandinaves, un disque d’airs de Noël, a priori –, un disque Kurt Weill dans le prolongement duquel on inscrira le disque de crossover avec Elvis Costello. Et le onzième, des extraits de sa plus belle intégrale lyrique, Ariodante. Même si Anne Sofie von Otter a énormément enregistré, et pas seulement pour Deutsche Grammophon, un pareil tour d’horizon ne laisse de côté aucun des genres dans lesquels la mezzo s’est illustrée. Il fait l’impasse sur certains compositeurs auquel elle fut associée (on a mentionné Mozart, mais l’on songe aussi à Berlioz ou Gluck), mais le moyen de faire autrement lorsqu’on ne retient que dix disques – plus un – dans la production d’une artiste aussi prolifique ?
Par ailleurs, avec des enregistrements parus entre 1990 et 2003, on suit le parcours d’une interprète qui ne craignit pas d’élargir son répertoire, en multipliant les collaborations fructueuses avec les plus grands chefs, tout en restant fidèle à ses amitiés plus anciennes. Le pianiste Bengt Forsberg, présent dès les premières années (les lieder de Brahms), reste l’accompagnateur attitré jusqu’au disque le plus récent (les mélodies suédoises), le partenaire d’élection même pour lorsqu’on s’éloigne des sentiers battus, comme avec le délicieux disque consacré à Cécile Chaminade, paru en 2001 ; c’est lui qui, en 1994, assura la réduction de l’orchestre de Korngold pour qu’Anne Sofie von Otter puisse chanter le Mariettas Lied avec piano et quatuor à cordes. Avec Marc Minkowski, pour qui elle fut un admirable Nerone monteverdien à Aix-en-Provence et avec qui elle grava un Ariodante d’anthologie (dont les extraits ici ajoutés sont évidemment les bienvenus), elle sut s’acoquiner dans Offenbach, seulement au concert, hélas, et l’on rêve de ce que ces deux-là auraient pu nous offrir ensemble dans une production scénique : on l’a déjà dit ailleurs, par sa maîtrise de notre langue et par l’esprit avec laquelle elle aborde le répertoire léger, Anne Sofie von Otter est la sœur spirituelle de Felicity Lott, Belle Hélène et Grande-Duchesse pour Minkowski. John Eliot Gardiner lui fit chanter plusieurs de ses plus beaux rôles, de Monteverdi à Berlioz, mais c’est ici leur disque Kurt Weill qui a été retenu, preuve de l’extrême diversité des talents de la mezzo.
Reinhard Goebel dirige l’ensemble Musica Antiqua Köln pour les deux premiers disques du coffret : si les cantates mariales de Haendel (et même d’un faux-Haendel, en la personne d’un certain Ferrandini, dont Il pianto di Maria fut longtemps crue du maître lui-même) restent assez sages, la performance d’Anne Sofie von Otter laisse en revanche pantois dans la cantate de Vivaldi « Cessate, omai cessate », par exemple, et dément l’impression de dolorisme éploré que pourrait causer le titre du disque (Lamenti). Le mélomane fera de bien belles découvertes avec Watercolours, qui révèle des mélodies dues à des compositeurs suédois nés entre 1866 et 1933, pour la plupart inconnus hors de leur pays. Si Von Otter Meets Costello risque de décevoir les admirateurs de l’une comme de l’autre – dix-huit titres ni rock ni classique –, le disque d’airs de Noël propose des airs plus ou moins connus, dans des orchestrations réalisées avec le meilleur goût, dont on sait que c’est hélas rarement le cas pour ce genre de produit.
Chacun devrait en tout cas trouver dans ce coffret de quoi explorer les facettes d’une personnalité qui, espérons-le, n’a pas fini de nous surprendre.