Côté historique, cet enregistrement peut être considéré comme l’aboutissement d’une véritable enquête policière. Tout part du célèbre motet à 40 voix (40 parties différentes) de Thomas Tallis qui longtemps a fait figure de véritable ovni musical. On a ensuite appris qu’un musicien italien, Alessandro Striggio (le père du rédacteur du livret de l’Orfeo de Monteverdi) avait lui aussi écrit vers 1561 un motet à 40 voix, Ecce beatam lucem ce qui le place en position d’antériorité par rapport à l’Anglais. Cette œuvre est connue et enregistrée depuis longtemps. Pour continuer, on connaissait l’existence, à défaut de la musique elle-même, d’une autre œuvre monumentale de Striggio, une messe à 40 voix dont le matériau musical provenait certainement de son motet. On savait que Striggio avait parcouru l’Europe (Italie, Allemagne, France) avec sa messe sous le bras et qu’il avait même fait un crochet en Angleterre. Les conclusions étaient que Tallis avait écrit son motet en réaction à la fameuse messe de l’Italien, pour démontrer qu’un Anglais pouvait rivaliser avec un continental. Pour finir, en 2005, la fameuse messe a été retrouvée à Paris par le musicologue et claveciniste Davitt Moroney. Une édition a suivi et voici désormais une trace sonore de cette partition qui n’est pas toujours écrite à 40 voix : on passe en effet d’une vingtaine à exactement 60 (dans le second Agnus dei), ce qui est un record. Voilà pour la petite histoire.
Côté musique, cet album contient les trois œuvres à 40 parties mentionnées ci-dessus ainsi que sept partitions vocales à effectifs et durées plus restreints s’apparentant aux madrigaux et une composition instrumentale due à Vincenzo Galilei (le père de l’astronome). Robert Hollingworth a choisi de faire accompagner ses chanteurs par des instruments comme c’était l’habitude à l’époque et a donc réuni une bonne partie des ensembles spécialisés (de luths, de violes, de saqueboutes, de cornets, de chalemies, …) disponibles en Angleterre. Le résultat est tout sauf monotone : l’oreille est sans cesse attirée par des changements d’effectif et des alliages de sonorités fort plaisants à déguster, le tout sur d’assez longues plages harmoniques. Si on veut bien se laisser emporter par ce flot musical, on peut ressentir une sorte d’effet hypnotique un peu comme celui dégagé par la musique pop « planante » des années soixante-dix.
Côté interprétation, tout ceci sonne juste (à tous les sens du terme) et beau : les chanteurs et les musiciens sont excellents. Les connaisseurs du motet de Tallis, autrefois interprété par des voix seules, pourront être un peu déroutés au début par l’habillage sonore instrumental réalisé avant de se rallier au point de vue du chef d’orchestre.
Côté technique, il est bien évident que les conditions d’écoute ont été prises en compte. S’il est déjà intéressant – quoiqu’un peu limité – d’écouter cet album en stéréo, on trouvera sur le DVD joint au CD une version enregistrée en 5.1, à écouter sur une installation de home-cinéma, qui seule pourra rendre justice aux qualités spatiales de ces musiques.
En conclusion, les haricots verts (c’est la traduction du nom du groupe I Fagiolini) nous donnent à entendre des œuvres, pour la plupart en 1ère mondiale, mitonnées avec tout l’art d’un grand chef.
Frédéric Platzer