En 1970, Leontyne Price retrouve les chemins du studio pour un second enregistrement d’Aida, neuf ans après celui réalisé sous la direction de Georg Solti. La voix de la soprano n’a que peu changé, devenue un peu plus lourde, avec quelques aspérités dans le grave, mais avec un aigu toujours aussi lumineux et des sons filés magnifiques. Le redoutable contre-ut piano de l’air du Nil passe comme une lettre à la poste là où tant d’autres sont obligées de hurler (elle gardera cette faculté jusqu’à ses adieux). Quelques défauts commencent à apparaître, comme des effets un peu jazzy. On note également de temps à autres un léger zézaiement. Dramatiquement en revanche, la chanteuse, souvent un brin placide, est davantage concernée par le texte.
Son partenaire est Plácido Domingo qui enregistre ici son tout premier Radames : il y en aura 3 autres au studio, puis un DVD du Metropolitan. Le chanteur est dans toute la force de sa jeunesse, le timbre charmeur et ensoleillé, sans tensions particulières dans l’aigu. On pourra lui préférer le ténor de la maturité, au timbre plus cuivré, moins insolent aussi, plus complexe dramatiquement, mais la prestation est ici déjà magnifique.
Pour Grace Bumbry, il s’agit déjà la seconde Amneris en studio. Son interprétation est moins marmoréenne que celle Rita Gorr avec Solti, mais aussi plus féminine, plus convaincante dans la passion amoureuse. La voix est encore jeune et se marie parfaitement avec celle de Domingo, moins peut-être avec Price en raison d’une similitude certaine de timbre et d’accent.
Sherrill Milnes campe un superbe Amonasro. La voix est au zénith et l’incarnation subtile, avec un personnage qui n’oublie pas qu’il est roi, et non un vulgaire chef barbare (dont il n’a pas la noirceur de timbre de toute façon).
En Ramfis, Ruggero Raimondi tente de jouer les basses, qu’il n’est pas vraiment, en gonflant exagérément la voix (Ormando Paini, qui interpréta le rôle pour la création milanaise, fut choisi par Verdi pour son Requiem deux ans plus tard). En Roi d’Egypte, Hans Sotin, pourtant chanteur mémorable, n’assure qu’un service minimum. Réserves bénignes : ces deux rôles restent assez anecdotiques.
La direction d’Erich Leinsdorf offre de magnifiques nuances dès le prologue orchestral. Le tempo est plutôt vif tout en laissant les chanteurs respirer. On pourra préférer des scènes du Triomphe plus grandioses, mais Leinsdorf est extrêmement convaincant dans les scènes plus intimistes (et même dans les ballets), qui constituent tout de même l’essentiel de la partition. On apprécie aujourd’hui des prises de sons plus détaillées, mais le tissu orchestral est de toute beauté (beaucoup moins pompier et bruyant que celui de Solti) : plateau vocal et orchestre se marient parfaitement.