Alors qu’Adelaide di Borgogna soufflera le 27 décembre prochain ses deux-cents bougies, un enregistrement capté en direct du Festival de Bad Wildbad vient opportunément enrichir une maigre discographie dominée par la version Zedda datée de 1991 avec Mariella Devia et Martine Dupuy dans les rôles principaux. Maurice Salles, alors présent dans la salle, nous avait rendu compte de ces représentations wilbadiennes : l’œuvre composée pour le carnaval romain chronologiquement placée entre Armida et Mose in Egitto mais plus proche dans l’esprit de Tancredi (de quatre années antérieur) ; l’édition choisie conforme à celle révisée par Gabriele Gravagna et Alberto Zedda, à l’air d’Eurice près ; le synopsis « moyenâgeux » inspiré de faits réels survenus au nord de l’Italie à la fin du premier millénaire ; la mise en scène dont cet enregistrement, seulement audio, semble avoir la bonne idée de nous dispenser ; la distribution enfin. A son récit savant, il y a peu à ajouter si ce n’est repasser en revue l’interprétation musicale et vocale, le disque autorisant, au contraire de la scène, une analyse plus détaillée via une écoute répétée bien que parfois perturbée par la qualité de la captation – ici irréprochable – et la phonogénie des voix, c’est-à-dire la manière plus ou moins agréable dont elles traversent l’épreuve du micro.
Ainsi, bien qu’agile, Gheorghe Vlad privé de l’appui de la scène se trouve désavantagé par un timbre dont la minceur n’a d’égal que l’absence de couleurs. Il semble que l’on ait affaire à un ténor de type contraltino – supposé gracieux et léger – quand l’écriture affirmée et le caractère vaniteux du personnage d’Adelberto préféreraient sans doute un baritenore – large et puissant.
En Ottone, Margareta Gritskova dispose effectivement d’atouts non négligeables à commencer par une extension confortable dans l’aigu et une vélocité à toute épreuve. Affaire de goût : la vocalisation peut paraître rapide mais l’homogénéité – l’égalité du son quelle que soit la hauteur de la note – est rarement prise en défaut. En l’absence d’images, la vigueur de l’accent confirme l’engagement. Le duo avec Adalberto (n°3) est une véritable passe d’armes où chaque interprète rivalise de prouesse tandis que l’échange amoureux avec Adélaïde (n° 7) palpite de ce battement sensuel qui, de Tancredi à Semiramide, caractérise la manière tendre dont Rossini aime entrelacer les voix de mezzo et de soprano.
La fusion harmonieuse des timbres font de ce numéro un des sommets de la partition d’autant qu’Ekaterina Sadovnika possède la virginale douceur du rôle-titre avec quelques sons filés du meilleur effet, une ligne souple et une émission qu’elle ne tente jamais de brutaliser. La cavatine « Occhi miei, piangeste assai » (n° 6), pas si éloignée de celle de Rosine, est toute de résignation douloureuse. Au deuxième acte, les innombrables embuches de sa grande scène (qui lorgne à plusieurs reprises le « Cessa di resistere » d’Amalviva dans Il barbiere di Siviglia) sont surmontées sans effort apparent d’un chant sensible puis jubilatoire – comme il se doit – lorsqu’Adelaide apprend la victoire d’Ottone sur l’ennemi.
Berengario, le méchant de l’histoire, supporterait une voix plus grave que celle de Baurzhan Anderzhabov, baryton-basse dont l’unique air – le très mozartien « Se protegge amica sorte » (nº 5) – s’avère moins furieux qu’élégant. Miriam Zubieta tire vers le haut le rôle très secondaire d’Eurice le temps d’un bref « vorrei distruggere » qui serait aria di sorbetto si la chanteuse espagnole ne lui prêtait un soprano agile et fruité.
Une fois confirmée la greffe entre la direction vivante de Luciano Acocella, le Camerata Bach Choir et les musiciens de l’ensemble Virtuosi Brunensis, il ne reste qu’à emboiter le pas à notre confrère en se réjouissant de disposer de la trace musicale d’un spectacle dont Bad Wildbad peut à juste titre s’enorgueillir.