Opéra Bouffe moderne en deux actes, Signor Goldoni est une commande de la Fondation du Théâtre La Fenice à l’occasion du 300ème anniversaire de la naissance de Carlo Goldoni. Pour son anniversaire, ce dernier se voit convié à un bal masqué dans sa Venise natale. On est bien en peine pour raconter la suite de l’histoire tant elle est confuse.
Le bal, dont le thème est la Venise de Shakespeare, est un prétexte dramaturgique pour convoquer sur scène une galerie de masques hétéroclites. L’archange Raphaël (de la façade de l’église l’Anzolo Rafael) guide Goldoni au bal. Desdémone et Othello participent aux réjouissances avant que le Maure vénitien ne révèle qu’il n’est autre que Shakespeare lui-même. Giorgio Baffo, poète Vénitien licencieux, contemporain de Goldoni, se voit jouer un mauvais tour par Arlequin et deux soubrettes, Despina (de Cosi Fan Tutte dont le livret est de Da Ponte, vénitien) et Mirandolina (de La Locandiera de Goldoni). N’oublions pas de mentionner la présence sur scène d’Hamlet, de Peggy Guggenheim (qui a sa fondation à Venise), de Titania, d’Obéron et de leur cortège d’esprits.
Autour de ces trop nombreux protagonistes, il semble que le compositeur Luca Mosca et le librettiste Gianluigi Melega aient tenté, tant bien que mal, de nouer une intrigue. S’ensuit une trame mal construite et difficile à suivre. A titre d’illustration, Othello se lamente à un moment donné qu’il n’y ait pas eu d’auteurs dignes de ce nom depuis Shakespeare. Choqué, Goldoni le provoque en duel. Les deux s’entretuent. Fort heureusement l’ange les ressuscite pour éviter que l’anniversaire de Goldoni ne soit gâché (ce serait dommage, on est venu pour ça). Arrive alors sur scène un immense gâteau d’anniversaire. Mirandolina nous ôte les mots de la bouche: « I think I’ve been mixed in a hell of a plot ».
On pourrait opposer que la commedia dell’arte fait la part belle à l’improvisation. Seulement improvisation ne signifie pas incohérence. De plus, Goldoni n’est-il pas célèbre pour avoir justement mis en forme les règles de la comédie moderne italienne ? La fin de l’opéra, qui rappelle Don Giovanni, Falstaff et The Rake’s Progress, invite à regarder la vie comme « a play to enjoy ». Le monde est un théâtre. C’est beau mais au XXIème siècle, c’est un poncif. Mise en abyme du théâtre, l’opéra s’achève avec les persona, les masques : Despina, Arlequin, Mirandolina et Desdémone réclament des auteurs dignes d’eux. Leur hybris est à la mesure de celle de Luca Mosca et Gianluigi Melega, qui font scander à Despina leur date de naissance dans un aria acrobatique au rythme effréné. Qu’un manque de modestie vienne couronner ce livret mal ficelé achève de gêner le spectateur.
Si le choix de l’anglais surprend dans un contexte italien, le parti-pris de Gianluigi Melega est respectable: le son et la brièveté des mots anglais sont plus adaptés à la musique rythmée, au phrasé staccato de Luca Mosca. La partition est à l’image de la ville. Venise regorge de ruelles dans lesquelles il est facile de se perdre, tout comme dans la musique de Mosca, labyrinthique selon ses propres mots. Venise est également un carrefour bénéficiant des influences de l’occident et de l’orient, ce que reflète la musique de Mosca. Riche de finesses, la partition met souvent l’accent sur des formations de chambre variables. Après le théâtre dans le théâtre, voici l’orchestre dans l’orchestre. Celui-ci n’accompagne pas les voix, mais créé autour d’elles un jeu polyphonique dans lequel les instruments ont autant d’importance que les voix.
Les rôles solistes ont été écrits en fonction des particularités vocales des chanteurs. A l’aise sur cette partition difficile, Alda Caiello, à la tessiture très large, campe l’ange Raphaël. Un duo avec Goldoni sur la question du sexe des anges met en valeur son habileté et sa souplesse vocale dans un changement de registres qui la fait passer alternativement d’une voix féminine à une voix masculine. Barbara Hannigan, en Despina, est excellente dans l’aria final grâce à sa maîtrise du souffle et des aigus. Le très beau timbre de l’alto Sara Mingardo, qui joue Desdémone, ne passe pas inaperçu.
La mise en scène de Davide Livermore est enlevée. Les costumes sont ravissants. Le décor ingénieux illustre la mise en abyme du théâtre: au premier acte, sur le mur du fond de scène, est peint un plafond de théâtre. Au second acte, ce sont des fauteuils d’orchestre qui sont représentés. Une main géante semble avoir retourné le théâtre comme on le ferait d’un sablier. Hélas, avec pareille intrigue, le spectateur marche effectivement sur la tête et le sable s’écoule bien lentement.
Diane Raillard