L’hommage à un grand chanteur d’autrefois est devenu un genre discographique à part entière, auquel le répertoire français semblait avoir jusqu’ici échappé. Avec ces Arias for Marie Fel, voilà que les artistes de l’Académie royale de musique se révèlent susceptibles du même traitement que les castrats italiens ou les divas du bel canto.
Carolyn Sampson est loin d’être une inconnue des amateurs de musique baroque : cette défricheuse infatigable nous a récemment révélé les partitions de Thomas-Louis Bourgeois, et elle avait déjà enregistré en 2003 un disque Rameau, intitulé « Règne amour », avec l’ensemble britannique Ex Cathedra. Cette artiste américaine peut se prévaloir d’une articulation admirable du français, indispensable pour interpréter des œuvres composées à l’époque où les chanteurs étaient appelés « acteurs » : pour chanter Rameau ou Mondonville, il faut savoir aussi et surtout dire un texte qui, même s’il n’est pas né sous la plume de nos plus grands auteurs, n’en est pas moins ce qui guide la musique. Dans un morceau aussi célèbre que le « Tristes apprêts » de Castor et Pollux, on goûte ainsi des qualités purement vocales mais mises au service d’un moment d’émotion intense : le récitatif qui précède est également enregistré, ce qui est extrêmement judicieux, et la reprise de la première partie est très finement ornée. Le timbre en soi n’a peut-être rien d’exceptionnel, mais la voix est agile et sait donner un sens à ce qu’elle chante. Elle s’offre même le luxe d’interpréter un morceau en occitan, tiré de Daphnis et Alcimadure, « pastorale languedocienne » de Mondonville. Belle découverte avec le morceau qui ouvre le disque, extrait du prologue de la Philomèle (1705) de Louis de La Coste, auteur d’une demi-douzaine de tragédies lyriques entre 1697 et 1732 ; tout au plus aimerait-on parfois une diction un rien plus mordante, surtout de la part du chœur, dont on salue malgré tout la grande qualité du français.
L’ensemble Ex Cathedra a de jolies couleurs, mais la direction de son fondateur et chef Jeffrey Skidmore semble parfois manquer un peu de vigueur, à moins que nos baroqueux français ne nous aient déformé les oreilles, en nous habituant à des battues enfiévrées. Dans le répertoire religieux, pourtant, la nécessité d’une pulsation frénétique ne se fait pas du tout sentir, avantageusement remplacée par la ferveur du chœur. En effet, l’une des originalités de ce disque est de rapprocher profane et sacré, d’enchaîner les danses aux prières ; les deux catégories sont réunies par leur indéniable exigence de virtuosité, les œuvres d’Eglise ne le cédant en rien dans ce domaine à celles qui étaient destinées à la scène (voir par exemple le « Regna terrae » de Lalande). Et dans certains extraits d’œuvres dramatiques, on s’accommode fort bien d’une approche plus douce : les bergerettes ne demandent pas qu’on fouette l’orchestre. Le tambourin inclus dans La Lyre enchantée a ainsi toute l’énergie nécessaire, sans qu’il soit nécessaire de doubler le tempo comme le feraient certains chefs.
On est heureux d’entendre aussi sur ce disque un Jean-Jacques Rousseau un peu moins naïf que dans Le Devin du village (dans lequel Marie Fel avait créé le rôle de Colette) : son Salve regina de la même année, très nettement sous influence italienne, évoque de loin Pergolèse, sans voler tout à fait aux mêmes hauteurs. Les œuvres de Joseph-Hector Fiocco n’encombrent pas non plus les disques, et on le regrette en découvrant un passage de son Laudate pueri.