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Catherine Hunold : « Je suis une diseuse passionnée »

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Interview
14 avril 2022
Catherine Hunold : « Je suis une diseuse passionnée »

Infos sur l’œuvre

Détails

Rencontre avec la soprano dramatique pour sa prise de rôle « accélérée » de la Sacristine dans Jenůfa à Toulouse. Catherine Hunold nous parle également des rencontres qui ont compté et des rôles qu’elle aimerait encore aborder.


Catherine Hunold, vous voilà de nouveau toulousaine, pour une prise de rôle expresse, peut-on dire.

Ça oui ! Tout s’est fait très vite. J’ai reçu un message de Christophe Ghristi [directeur artistique du Théâtre National du Capitole] deux semaines avant le début des répétitions en me demandant si j’ai des racines tchèques ! Il me dit que Angela Denoke ne peut pas prendre le rôle de la Sacristine et me demande si je me sens d’apprendre le rôle en deux semaines ! Je n’ai jamais chanté en tchèque, je n’ai jamais chanté le rôle de Kostelnička, même si je savais qu’un jour il faudrait que j’y vienne ; j’ai dit à Christophe : « Je reprends la partition que j’ai à la maison, je regarde et je te dis. » J’ai pris trois heures pour relire attentivement la partition et j’ai dit oui. J’avais fait il y a quelques années une « Leçon de Musique » avec Jean-François Zygel au Châtelet, autour de Jenůfa, et on avait fait des mélodies et le grand air de Jenůfa. J’avais senti à l’époque que le tchèque était une langue qui m’allait bien, qu’elle m’était agréable. Il se trouve que c’était une période calme pour moi, je n’avais pas de nouveau rôle à apprendre. Dès que j’ai raccroché, ça a été non-stop !

Oui mais il fallait vous épauler ?

J’ai d’abord travaillé dix jours toute seule chez moi à Menton ; puis Christophe Ghristi m’a confié à Irène Kudela [chef de chant et coach musicale spécialisée dans le répertoire lyrique slave] et j’ai travaillé trois jours avec elle à Paris avant de commencer les répétitions à Toulouse. Avec Irène j’ai compris que pour apprendre ce rôle je devais l’aborder avec tout mon être en mêlant émotion et instinct. Certes il faut mémoriser, mais j’ai la chance de mémoriser très vite (j’avais appris le rôle d’Isolde, qui fait deux fois celui de Kostelnička, en quatre semaines !). Je suis arrivée à Toulouse il y a deux semaines, soit quatre semaines avant la première. Ici, je suis ravie parce qu’au Capitole on aime les chanteurs et je m’y sens en sécurité pour  faire une telle prise de rôle. Aujourd’hui [dix jours avant la première] je connais le rôle ; je sais exactement ce que je chante ; du reste je ne pourrais pas dire un texte sans comprendre le sens de la phrase et le mot lui-même, sa couleur, sa résonnance. J’aime dire, j’aime raconter, je suis une diseuse passionnée.

Oui mais quel drôle de personnage cette Kostelnička !  Elle est tout de même terrible.

Oui effectivement, elle est terrible, c’est un personnage impressionnant de femme très forte mais avec énormément de fêlures, Elle est surtout  profondément humaine, terrienne et d’une grande spiritualité. Elle aime tellement sa fille adoptive (c’est sa « fille de bonheur » comme elle dit) qu’elle ne veut pas se séparer d’elle ! Je pense même intimement qu’elle ne veut pas la marier à Laca mais qu’elle veut la garder pour elle ! Elle se rattache à elle car c’est une femme brisée, elle a été une femme battue par un mari qui buvait et elle vit toujours avec cette  honte. Elle n’a de cesse de racheter cette honte en ayant l’attitude stricte droite, digne de sa fonction de sacristine.

Elle trouve pourtant un subterfuge affreux pour « caser » Jenůfa ?

Oui elle veut absolument cacher que Jenůfa est « fille mère »  ; avant la scène où elle glisse l’enfant sous la glace, elle s’inquiète du destin de Jenůfa mais aussi des commérages. Tout est entremêlé dans son esprit; c’est aussi un personnage qui parle avant de penser. Quand elle dit à Laca « l’enfant est mort » elle le dit précipitamment ; ça arrive comme ça, elle le comprend après coup. Il s’agit alors pour elle de trouver une solution… Comment faire pour que l’enfant disparaisse ? La seule solution c’est de l’emmener à Dieu. Il est remarquable qu’elle ne parle jamais de l’enfant comme d’un d’un nourrisson, un bébé. Elle ne dit jamais son nom, elle parle de « ça » (« to » en tchèque) : « ça va crier, ça va pleurer ; ça n’a même pas couiné », c’est affreux.

Diriez-vous que Jenůfa est un opéra difficile ?

Je pense vraiment que Jenůfa est un opéra grand public ; on peut avoir une appréhension parce que c’est du tchèque, mais le tchèque est une langue très vocale, musicale, beaucoup plus que l’allemand ; et puis Jenůfa c’est un fait divers, un drame humain ; avec cet opéra on est dans la vie même. La musique est sublime, nous touche profondément ainsi que les personnages.  On peut s’identifier à chacun d’eux ; même le personnage de Kostelnička. On peut comprendre son cheminement.

Parlons de votre répertoire ; il y a cette Isolde que vous avez chantée très jeune.

Oui c’était mon premier rôle wagnérien, à Prague à 35 ans en last minute même s’il y avait eu auparavant le concours des Wagner voices [en 2006 à Bayreuth] . Cette première Isolde a été un moment décisif ; tout d’un coup, tout mon puzzle vocal et artistique s’est constitué. Le soir de la première j’ai compris : je me suis dit  : « dans ce répertoire je suis chez moi ». Ça a été un moment phare. Depuis il y a eu Brünnhilde, Elisabeth, Venus, Ortrud, Kundry et Senta dernièrement. Les Wagner je les ai presque tous chantés, je ne suis pas sûre d’avoir envie de chanter les Brünnehilde de Siegfried et Götterdämmerung. En France on m’a collé une étiquette de wagnérienne mais l’essence de ma formation a été mozartienne et verdienne. Mes professeurs, que ce soit Christa Ludwig ou Margaret Price, voulaient absolument que je chante Norma, les grands Verdi ; on n’a jamais parlé de Wagner avec elles !
Ces deux-là sont des modèles pour moi. Elles sont arrivées dans mon parcours au moment où ma voix évoluait. Quand j’ai rencontré Mady Mesplé à 18 ans, je chantai la Reine de la Nuit,  Konstanze, Mireille, des coloratures dramatiques. Puis ma voix a évolué, j’ai travaillé Donna Anna, la Comtesse ; j’ai rencontré Margaret Price qui m’a dit « il faut arrêter les Mozart, il faut aller regarder du côté des Bellini, Verdi ; puis ma rencontre avec Christa Ludwig qui m’a fait travailler Ariadne. Mais elle voulait absolument que j’auditionne à la Staatsoper de Wien pour Desdemona ou Elisabetta. C’est vrai qu’il y a des rôles verdiens que j’aimerais aborder : Lady Macbeth qui va arriver la saison prochaine, et puis Abigaille. Mais il y a aussi Turandot que je n’ai jamais chantée en scène et puis Minnie de La Fanciulla del West, voilà quelques rôles qui me tentent bien.

L’opéra français ?

Oui c’est évidemment le plus naturel ; c’est ma langue maternelle, ma culture, toujours ce goût de dire, de raconter. Les rôles français, j’en ai également beaucoup chanté. Il en reste encore à découvrir…

Les mises en scène ?

Il y a des choses terribles ; j’ai une expérience récente où … je ne préfère ne pas faire de commentaire. Le problème c’est quand l’œuvre n’est plus servie mais qu’on se sert de l’œuvre et que l’on se sert des artistes pour justifier un décor ou un propos qui n’est pas l’œuvre ; on se sent alors complètement pris en otage. L’œuvre maintenant passe souvent au second plan et nous, artistes, encore après… Ce qui n’est pas le cas pour cette Jenůfa. C’est une très belle mise en scène [de Nicolas Joël], peut-être classique, mais où l’on est complètement à nu ; avec sur le plateau une roue de moulin, d’immenses murs en pierre, un sol glacé. C’est l’interprète, c’est l’humain qui est mis au centre de l’œuvre, c’est très beau, on revient au chant, à l’essentiel de ce qu’est l’opéra.

Le Covid est un mauvais souvenir maintenant ?

Ce que j’ai très mal vécu pendant cette période c’est ce terme de « non essentiel » que l’on a attribué au domaine de la culture : ça, je dois dire que ça ne passe pas et ça ne passera jamais. Quand on voit, maintenant que nous nous retrouvons, combien nous nous étions manqués, le public et les artistes ! La musique, la voix ; il y a une dimension de soin dans ce qu’est la voix humaine et la voix féminine en particulier.

Le rôle dont vous rêvez ?

C’est très curieux ; après la première répétition ici à Toulouse avec le chef autrichien Florian Krumpöck, il m’a dit, il faut chanter Elektra. C’est vrai que c’est quelque chose auquel je pensais, mais je ne me sentais pas prête ; mais après Ariane et Barbe bleue et aujourd’hui cette Kostelnička, je crois que maintenant je me sens prête. Mais s’il y a vraiment quelque chose que je voudrais beaucoup chanter c’est Les Troyens : Didon et Cassandre, les deux rôles comme l’avait fait Deborah Polaski. Cela germe en ce moment dans l’esprit de quelques directeurs ! Voilà, on va voir si la graine plantée prend ou pas. En attendant j’espère que cette Kostelnička va me suivre. Je l’aborde assez tôt ; c’est un rôle souvent confié à des chanteuses plutôt en fin de carrière, c’est dommage, c’est tellement vocal. En ce moment je suis dans le rôle 24h sur 24, je dors très peu et je rêve en tchèque !

Interview réalisée au Grand foyer du Théâtre National du Capitole de Toulouse le 8 avril 2022

Jenůfa est donné à Toulouse les 20, 22 et 26 avril à 20h, et le 24 avril à 15h

 

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