Primée ‘Femme d’influence‘ dans la catégorie Culture en 2018, Caroline Sonrier présente son parcours et les expériences qui l’ont amenée à la direction de l’Opéra de Lille. Dans cet échange, elle revient sur la confiance qui lui a été accordée pour relancer l’institution après 5 ans de fermeture et qui lui a permis de faire de cet Opéra un lieu vivant, tout en l’inscrivant au cœur de l’activité lyrique française. Elle évoque l’importance de l’accompagnement des artistes et partage son profond intérêt pour la création artistique qui, selon elle, permet aussi d’approcher et de sensibiliser de nouveaux publics.
Qu’est-ce qui vous a amenée à la musicologie ?
Enfant, j’ai tout de suite et naturellement été mise à la musique. Ma mère était violoniste et se produisait régulièrement avec l’orchestre dont elle faisait partie. Elle enseignait également cet instrument à l’École de Musique de Troyes, où j’y ai effectué mon cursus dans les classes de piano, d’orgue, d’harmonie et de contrepoint. Après mon baccalauréat, j’ai souhaité m’orienter vers un cursus de musicologie pour compléter ma pratique instrumentale. J’estimais que cela me donnerait une culture générale importante et nécessaire.
Qu’en est-il de votre première fois à l’opéra ?
Ma marraine, dont j’étais très proche, m’avait amenée, quand j’étais petite, voir Carmen à l’Opéra national de Paris. Je m’en souviens comme si c’était hier car c’était vraiment un très grand moment. Ensuite, je suis arrivée à Paris pour mes études de musicologie à la Sorbonne lorsque Rolf Liebermann venait de prendre la direction de l’Opéra. J’ai donc pu voir toute la série des Mozart mis en scène par Strehler, la fameuse Lulu de Patrice Chéreau dirigée par Pierre Boulez, etc. C’était une période incroyable ! Aujourd’hui, je ne saurais pas forcément expliquer pourquoi j’ai été tant attirée par l’opéra à l’époque.
Caroline Sonrier © Eric Lebrun
Martine Aubry, alors Maire de Lille, vous sollicite en 2001 pour travailler sur ce projet de réouverture de l’Opéra. En quoi vos précédentes expériences au Centre de la Voix de Royaumont et à Ile-de-France Opéra Ballet ont-elles facilité cette prise de poste ?
Le Centre de la Voix a été un tournant dans ma carrière : même si, effectivement, j’allais régulièrement à l’opéra plus jeune, j’évoluais malgré tout dans un environnement instrumental et portais un intérêt probablement plus marqué pour la musique médiévale ou contemporaine. On accueillait, à Royaumont, beaucoup de grands professeurs comme Daniel Ferro et Lorraine Nubar de la Juilliard School de New York, et des interprètes tels que Hans Hotter ou Ruben Lifschitz. Cette expérience m’a vraiment sensibilisée à la voix et à tout ce que cet instrument peut impliquer en matière de travail pour les jeunes chanteurs. Le cadre, absolument magnifique, de l’Abbaye m’a parallèlement donné le goût de créer une activité artistique dans un cadre architectural puissant, ce que je retrouve finalement dans notre beau bâtiment de l’Opéra de Lille. A Île-de-France Opéra Ballet, j’ai expérimenté la conception d’opéras en petit format puisque les théâtres du territoire, comme les scènes nationales, ne sont pas des lieux habitués à la diffusion de productions lyriques. En investissant sur ces nouveaux formats lyriques, j’ai, de fait, beaucoup travaillé sur la création artistique et sur la recherche de nouveaux publics, ce qui a été passionnant. La création, l’innovation et la recherche de nouveaux publics, étaient des éléments auxquels Martine Aubry portait une attention particulière. Je pense que cela a été déterminant dans ce recrutement. Mais je dois avouer très franchement que je ne me serais jamais présentée de moi-même : à l’époque, jamais je n’aurais imaginé pouvoir prendre la direction d’un opéra.
Outre la nouveauté de cette prise de fonction, en quoi cette réouverture constituait-elle un réel challenge professionnel ?
L’opéra en soit est un outil magnifique mais, dans le cas de cette institution lilloise, un défi important était à relever puisque se posait la question de « Pourquoi faut-il rouvrir un opéra au XXIe siècle ? ». Quand on hérite d’une structure qui fonctionne, la question se pose différemment. Mais au début des années 2000, ce projet devait trouver sa place dans la région du Nord-Pas-de-Calais qui, comme nous le savons, connaissait une situation sociale difficile. Donc rouvrir un opéra dans ce contexte n’était pas évident pour tout le monde. L’institution devait donc, plus que jamais, être un lieu ouvert à tous et qui démontre par ailleurs qu’il est possible de conjuguer ambition artistique et qualité d’innovation. A titre personnel, je trouvais que ces objectifs, ou plutôt ces prérequis, étaient particulièrement stimulants.
Aujourd’hui, quel bilan faites-vous de ces années de direction ?
Si je n’avais pas eu cette confiance de la part de Martine Aubry, et par la suite des représentants des collectivités territoriales et de l’État, je n’aurais jamais eu la même liberté dans mes prises de décision. Cette liberté est indispensable pour prendre des risques en matière de création et d’innovation. Ensuite, je dois dire que cela a été un travail d’équipe important et remarquable. Il y a une énergie et un enthousiasme particulier dans cette maison et je suis impressionnée de voir combien l’équipe est engagée et attachée à cet Opéra. Ce sont des éléments qui ont réellement rendu plaisant ce développement de mon projet pour l’Opéra de Lille.
N’avez-vous jamais songé à rejoindre une autre maison ?
Si. Pendant ces vingt-ans, je me suis forcément posé la question de me positionner ou non sur une autre structure. Mais cette liberté, dont je bénéficie pour conjuguer innovation et ouverture à tous les publics, était un moteur essentiel de mon travail. Tous ces projets de création que l’on a beaucoup développés à l’Opéra, dans différents domaines – que cela soit sur le plan musical, chorégraphique, etc. –, ont pu se réaliser grâce à cet environnement. Il n’était pas acquis que je les retrouve dans d’autres maisons.
Cet effort en faveur de la création artistique est une singularité de l’Opéra de Lille. Comment votre action en ce sens a-t-elle évolué au fil de vos années de direction ?
La création faisait entièrement partie du cahier des charges de départ. Et pour répondre à cette question du « Pourquoi faut-il rouvrir un opéra au XXIe siècle ? », il fallait nécessairement que la structure s’inscrive pleinement dans le XXIe et qu’au moins une œuvre contemporaine soit programmée chaque année.
Toutes les maisons ne le font pas…
… et pourtant, cela me paraît être la moindre des choses d’avoir un opéra d’aujourd’hui une fois par saison. Si on souhaite renouveler l’image de l’opéra auprès d’un nouveau public, on peut certes s’appuyer sur une représentation du patrimoine dans des mises en scène plus contemporaines, mais ce travail doit aussi être mené en proposant des œuvres conçues par des créateurs d’aujourd’hui.
Happy Days – Opéra de Lille © Jean-Baptiste Cagny
Les activités que vous avez proposées telles que les Happy Days, qui mettent en lumière des pièces parfois moins connues, permettent-elles néanmoins d’infirmer l’idée que l’opéra est encore porteur de préjugés ?
L’objectif des Happy Days est de montrer que l’opéra reste un lieu vivant. Effectivement, on dispose d’un bâtiment avec une architecture magnifique, parfois un peu imposante. Si par la suite on s’emploie uniquement à replacer le répertoire dans son style d’époque, on ne fait absolument rien évoluer. Mon idée a toujours été de confronter la richesse du décor de l’Opéra de Lille avec une proposition qui doit toujours surprendre, et non quelque chose qui vient renforcer une caricature que le grand public a déjà de l’opéra traditionnel.
Estimez-vous que le public ait été réceptif à cette idée ?
Je me souviendrai toujours de notre premier Happy Days en 2004. Je pensais qu’il n’y aurait qu’une centaine de personnes. Or, on a dû accueillir plusieurs milliers de spectateurs. La salle était littéralement pleine à craquer. On avait programmé une pièce de Georges Aperghis interprétée par la soprano Donatienne Michel-Dansac. Quand j’ai vu toute cette foule, je suis tout de suite allée voir Donatienne dans sa loge et je lui ai dit : « Écoute Donatienne, il y a énormément de monde mais ne t’inquiète pas. C’est un public qui ne sait pas forcément ce qu’il va voir et entendre, donc, surtout, ne te formalise pas si tu vois des gens sortir de la salle ». A cela, elle m’a répondu : « Tu sais Caroline, ne t’inquiète pas, même quand c’est payant les gens sortent !». Je m’attendais à une catastrophe logistique, et finalement, sur la totalité de la salle, on n’a eu qu’une dizaine de personnes à sortir. C’était très marquant comme moment : l’écoute attentive, qui régnait dans cette salle, était, je dois le dire, assez impressionnante.
Selon vous, il est, d’une certaine façon, plus simple de toucher un nouveau public via la création que via les grandes œuvres lyriques du patrimoine musical.
Je dirais que la création touche plus facilement un nouveau public puisque dans ce cas, on a la chance de faire face à des personnes qui ont beaucoup moins d’idées préconçues. Un public qui n’a pas l’habitude d’aller à l’Opéra et d’écouter les Carmen, Traviata, Nabucco, Don Giovanni, etc. est tout à fait ouvert, disponible et intéressé par ce type de propositions. L’idée selon laquelle l’initiation à l’opéra commence par les œuvres du répertoire pour comprendre celles d’aujourd’hui est une approche intellectuelle, alors que dans ce cas l’enjeu est de toucher le sensible. Et d’ailleurs, ce qui est frappant avec un public de novices, et en particulier avec les plus jeunes, c’est qu’il n’y a pas cette idée de chronologie. Certains pensent parfois que les ouvrages de Rossini ou de Puccini sont des opéras d’aujourd’hui. Je pense sincèrement que la création est un vecteur important de la médiation.
Au-delà de la création artistique, l’Opéra de Lille est aussi remarqué pour sa faculté à accompagner des artistes. Ce travail sur le moyen-long terme que vous faites avec ces derniers fidélise-t-il davantage votre public ?
L’accompagnement d’artistes est nécessaire car, par définition, ce sont eux qui apportent une vision artistique. Dans le cadre de leur accompagnement, nous devons avoir cette humilité de suivi dans leurs visions et dans leurs objectifs propres et il nous appartient d’être là pour fournir un cadre à leurs projets. Dans le domaine de la création, c’est quelque chose de particulièrement important, que cela soit pour une création de mise en scène, de chorégraphie, ou d’ouvrage lyrique. Il faut arriver à bien comprendre la démarche d’un artiste et lui donner une certaine liberté pour favoriser et stimuler sa création.
A ce titre, la résidence est un bel outil pour y répondre. Parlez-nous de ce long compagnonnage avec Emmanuelle Haïm.
Le Concert d’Astrée est en résidence depuis la réouverture de l’opéra. A l’époque, Emmanuelle Haïm que je connaissais d’Ile-de-France Opéra Ballet, venait tout juste de créer son ensemble. J’avais remarqué que c’était une personne qui avait une aptitude avérée pour accompagner les chanteurs, en poursuivant véritablement une démarche artistique. C’est une personne qui a une connaissance incroyable des œuvres. Elle est passionnante et dispose d’une exigence de qualité de réalisation qui est assez notable. C’est formidable de travailler avec elle car elle est extrêmement ouverte aux propositions. D’ailleurs, je lui ai toujours proposé les œuvres qu’on allait faire ensemble et elle a toujours été très réactive, disponible et enthousiaste. Je pense que cette longue aventure avec le Concert d’Astrée illustre tout l’intérêt de l’accompagnement d’équipes artistiques.
L’ensemble Ictus était aussi un de vos fidèles partenaires artistiques.
Oui, et ce n’est pas un hasard si, dès le départ, j’avais proposé un ensemble baroque et un ensemble contemporain. Je savais qu’il serait difficile de chercher et trouver un nouveau public pour ces répertoires. Les compositeurs baroques ne sont pas toujours connus et les compositeurs contemporains, par définition, ne sont pas connus. Pour répondre à votre précédente question, le fait d’avoir les mêmes ensembles permettait de proposer des points de repère et de fidéliser notre public. Le Concert d’Astrée a fait son premier opéra en 2004 pour Tamerlano de Haendel, et depuis, on remarque qu’Emmanuelle et son ensemble marquent encore notre public : les spectateurs ont envie de revenir parce que c’est cette cheffe et cet ensemble, indépendamment du titre de l’opéra et du nom du compositeur. Pour Ictus, c’est la même chose. Cet ensemble a le génie de rendre vivante la musique contemporaine et fait preuve d’une générosité incroyable dans la transmission de ce répertoire au public. Avec eux, nous n’avons pas forcément fait beaucoup d’opéras, mais cela nous a justement permis de réinventer d’autres formes et d’autres concepts. Pour les opéras contemporains, nous avons entamé une collaboration régulière depuis quelques années avec Le Balcon, ensemble dirigé par Maxime Pascal. Après, il ne faut pas oublier ces étroites collaborations que nous avons avec l’Orchestre National de Lille et l’Orchestre de Picardie. Elles nous permettent de répondre à notre mission patrimoniale qui est primordiale et qui reste le cœur de notre activité de production lyrique.
On souligne très souvent le fait que vous êtes une des rares femmes à avoir pris les commandes d’une institution lyrique. Y a-t-il eu un moment dans votre carrière où vous avez estimé que cela pouvait soulever de réelles difficultés ?
Sincèrement, pas du tout. Forcément il y a eu des situations où je sentais bien que je n’étais pas toujours légitime pour certains, mais d’une certaine façon, cela m’a toujours un peu amusée. En tout cas, cela ne m’a jamais vraiment troublée ni empêchée de faire ce dont j’avais envie. A l’Opéra de Lille, dans la mesure où j’ai pris mes fonctions dès la réouverture, tous ceux qui sont venus rejoindre l’équipe savaient que c’était une directrice. En revanche, dans le cas où une femme fait suite à la direction d’un homme dans un opéra, je veux bien croire que cela soit un peu plus compliqué. Et encore que… Avec un peu de recul, je dirais que c’était plutôt le projet de l’Opéra de Lille qui était parfois pointé du doigt, et non le fait que ce soit une femme à la direction.
Pour quelles raisons ?
Parce que le projet artistique n’était pas toujours considéré comme un réel projet d’opéra. Le fait que je parle beaucoup de création, d’opéra baroque, de Happy Days, etc. ne correspondait pas à l’image d’un opéra traditionnel. Au début, cette légitimité, auprès de mes confrères, n’était donc pas acquise par tout le monde, mais encore une fois cela ne me dérangeait pas. En même temps, je dois dire que l’on a eu, dès le départ, un certain nombre de théâtres d’opéra prêts à coproduire avec nous et ils ont été tout de suite en confiance. Petit à petit, on a pu trouver notre place dans le réseau des institutions lyriques françaises.
Au regard de vos vingt années d’expérience à Lille, estimez-vous que ce sujet de la place de la femme a évolué ?
Oui. Mais cela évolue de façon extrêmement lente. La direction des opéras est un indicateur auquel il faut effectivement être attentif. Néanmoins, nous devons aussi porter une attention particulière aux cheffes d’orchestres et aux compositrices. Il y a encore un gros travail à faire sur ce sujet et je trouve que cela devrait évoluer plus vite. Je regrette parfois de ne pas avoir fait davantage de mentorat. Comme je vous le disais précédemment, j’ai eu la chance qu’on me fasse confiance et qu’on me pousse à tenter cette direction. Je dois dire que je n’ai pas encore su faire la même chose et, pour autant, la représentation générale des femmes dans les maisons d’opéra, que cela soit sur le champ artistique ou administratif, est à mon sens, un réel sujet car elles existent et sont tout simplement invisibles.
Georges Aperghis et Caroline Sonrier © DR
Vous évoquiez précédemment le fait qu’un certain nombre de vos homologues vous ont rapidement fait confiance et étaient prêts à se joindre à vous pour porter une production. Vous ont-ils suivie dès le départ sur ces projets de création lyrique, ou au contraire, vous ont-ils davantage rejointe sur des ouvrages du grand répertoire ?
Effectivement j’ai eu assez vite la confiance d’autres maisons d’opéra puisque ces discussions sur les coproductions, nous devions les avoir avant la réouverture. J’ai eu celles des coproducteurs pour nos propres productions, et je pense notamment à Angers-Nantes Opéra et l’Opéra national de Nancy, avec qui nous avons fait Madame Butterfly, la toute première production de l’année de réouverture, mise en scène par Jean-François Sivadier. D’autre part, j’ai eu aussi celle de Bernard Foccroulle, qui était à l’époque Directeur de la Monnaie. Pour la réouverture de l’Opéra de Lille, j’avais choisi de faire une reprise et non une nouvelle production, trop risquée puisque nous étrennions un nouvel outil technique avec une nouvelle équipe tout juste constituée. Bernard Foccroulle, que je connaissais par ailleurs, m’a tout de suite donné sa confiance pour que l’Opéra de Lille coproduise Don Giovanni mis en scène par David McVicar, que nous avons présenté en janvier 2004. Finalement, lorsque nous en avions parlé deux ans avant l’ouverture, rien n’existait. J’étais toute seule, sans équipe, et l’Opéra était fermé depuis plusieurs années. Donc je dois dire que sa confiance a été très importante pour moi et c’est très représentatif de sa générosité.
Aujourd’hui, vous coproduisez avec des structures françaises mais également étrangères. Que vous apportent-elles ?
La collaboration avec de grandes maisons européennes faisait partie de mes objectifs de départ. Je trouvais qu’il était particulièrement intéressant pour notre équipe de coproduire avec ces institutions car 90% d’entre elle n’avait jamais travaillé dans un autre opéra. Chaque service travaillait avec son homologue et je pensais qu’il était important et enrichissant pour eux de se confronter à des personnes qui avaient un savoir-faire de haut niveau. On apprend beaucoup en travaillant avec nos homologues et, d’ailleurs, il nous arrive de remarquer qu’on ne s’en sort pas si mal car les autres maisons peuvent aussi avoir d’autres contraintes, de diverses natures. On a mené plusieurs collaborations avec La Monnaie et Covent Garden. J’étais toujours impressionnée par le fait que ces deux maisons acceptent de travailler avec nous avant même qu’on soit ouvert. Je trouve que cela illustre assez bien l’esprit anglo-saxon qui est relativement pragmatique.
Par contre, vous travaillez très peu avec l’Allemagne. Est-ce parce qu’ils sont des théâtres de répertoire ?
L’Allemagne commence seulement à coproduire. Au début des années 2000, j’aurais eu du mal à trouver des coproducteurs allemands parce qu’effectivement ils ne sont pas dans le mode de la stagione, et que leurs méthodes de travail sont réellement différentes. Cela étant, nous faisons notre première coproduction l’an prochain avec le Staatsoper de Berlin pour l’Idoménée de Campra.
Comment appréhendez-vous la réouverture de l’Opéra de Lille suite à cette crise du COVID-19 ?
La difficulté de cette crise sanitaire réside surtout dans ce flou qui concerne le proche avenir. Depuis le début du confinement, nous n’avons aucune visibilité et il est très compliqué de prendre des décisions. L’activité de l’Opéra se construit en permanence sur des échéances à deux ou trois ans et qui sont, en termes d’annonce des projets, faites au moins un an à l’avance. Aujourd’hui, nous avons pris la décision de reporter en 2023 notre Falstaff mis en scène par Denis Podalydès qui devait avoir lieu en mai, ce qui est une échéance assez lointaine. En ce qui concerne les annulations ou reports, nous sommes par ailleurs très attentifs à soutenir les artistes, en particulier les plus fragiles, les ensembles indépendants et les compagnies.
Selon vous, quelles modalités de rencontre avec les publics pourraient être imaginées en cas de difficultés à assurer une réouverture dans les conditions habituelles ?
On ne sera certainement pas dans un accueil habituel du public. Au-delà de cette question du public, il y a des problématiques qui se posent pour le travail : comment va-t-on faire travailler un artiste sur le plateau, accueillir un orchestre dans une fosse, faire travailler des comédiennes et danseurs qui se prennent dans les bras, etc. ? Cette distanciation sociale est assez problématique, surtout en ce qui concerne le public dans le cas d’un théâtre à l’italienne. Aujourd’hui, ma priorité c’est de sécuriser, du point de vue sanitaire, l’équipe administrative, les artistes et le public. Nous réfléchissons effectivement à des solutions sur ces trois champs mais cela n’est absolument pas évident et nous sommes dans l’attente de nouvelles du gouvernement qui, je l’espère, donneront des idées plus précises sur ce déconfinement. Le gouvernement a publié un certain nombre de fiches métiers pour ces problématiques de sécurité sanitaire mais celle de notre secteur n’existe pas encore. Après, j’estime que ces modalités de réouverture du théâtre devront être pensées avec les autres maisons d’opéra. Je pense sincèrement qu’il va falloir qu’on apprenne à fonctionner avec cette épidémie. Si on attend qu’elle soit passée, on ne rouvrira jamais avant deux ans.
Vous disiez que la réouverture d’un opéra au XXIe était, d’une certaine façon, un sacré pari. D’après-vous, quel est, aujourd’hui, son avenir ?
Pierre Boulez disait il y a soixante ans que l’opéra était mort. Quand je vois le nombre de compositeurs qui ont envie d’écrire un opéra et le taux de remplissage très élevé de nos salles, je pense qu’on peut se rassurer car le genre est loin d’être mort. Nous devons avoir confiance dans l’avenir de l’opéra, même si on fait face à des changements sociétaux, changements que l’on remarque encore plus dans le contexte de cette crise sanitaire. L’opéra questionne le maintien de notre rôle vis-à-vis du grand patrimoine et de notre présence dans la société. Je pense que sur ce point, on doit encore avancer. Même si les maisons font beaucoup de choses, il y a, selon moi, encore de quoi travailler en matière de diversité des publics.