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Inspirée par la peinture de Mark Rothko, Sombre page centrale de Musique pour la Rothko Chapel de Kaija Saariaho, ne peut renier ses sources. Pièce pour baryton, flûte basse, harpe, contrebasse et percussions, donnée en première française vendredi à l’Opéra de Clermont-Ferrand à l’invitation de la Scène nationale, elle partage avec l’œuvre du grand plasticien, la radicalité sans concession et plus encore l’intensité lumineuse. Saariaho engage avec la figure majeure de l’expressionnisme abstrait américain, un dialogue où la vibration chromatique tisse d’évidentes affinités électives. La compositrice finlandaise demeure fidèle à son style où l’étirement de la trajectoire sonore et l’exploration d’un raffinement mélodique qui sont sa signature, se voient soudain traversés de fulgurances. Brusques embrasements qui cependant prolongent la réflexion tout en ouvrant de nouvelles opportunités à notre perception du sensible. Il n’y a pas rupture dans la rhétorique Saariho mais appel à dépassement. Ce jeu subtil et presque instinctif de correspondances, on le retrouve entre la flûtiste Camilla Hoitenga et Lionel Peintre. Le baryton porte les vers de « My love, my love », extraits des Cantos d’Ezra Pound, avec rectitude, sans la moindre recherche d’effet. C’est avec cette même approche d’une hiératique rigueur qu’il traduit « Kaddisch » et « L’Enigme éternelle » de Ravel, auxquelles succèdent les envoûtements de « Tocar » que Saariaho a manifestement pensé dans la perspective des Deux mélodies hébraïques et que Peintre aborde sur une même ligne de chant dépouillée. Retenue non dénuée d’éloquence également dans l’esprit des pièces instrumentales qui composaient le kaléidoscope de cette Musique pour la Rothko Chapel, dont trois des Six Epigraphes antiques de Debussy, Le Jardin mouillé de Jacques de La Presle par la harpiste Héloïse Dautry et Dolce Tormento de Saariaho pour flautino. [Roland Duclos]