Quand un compositeur et un mathématicien confrontent leur expérience et leur travail, cela donne ce livre de libres entretiens. D’où il appert que les problématiques rencontrées sont sensiblement les mêmes, et pourraient se résumer en une formule : comment faire advenir l’inspiration ? De là mainte évocation des méthodes de travail, des inévitables doutes, des petites manies, des espérances et de l’expérience des limites. De là aussi une comparaison entre deux arts faits d’abstraction et d’imagination, l’un oeuvrant plus dans l’intelligible, l’autre dans le sensible. De là aussi une conversation fort directe entre deux citoyens de leur temps rencontrant l’admiration et l’adoubement, mais aussi le scepticisme de leurs contemporains et parfois une forme d’originalité pour ne pas dire de marginalité. Au coeur du livre se trouve ce sentiment partagé par les deux auteurs d’une forme de solitude escarpée mais assumée, d’une fréquentation de chemins qui parfois ne mènent nulle part et où l’on ne rencontre pas foule de semblables. Cela semble ici ne nuire ni à l’humour ni à la modestie des deux comparses.
Au coeur aussi de ce livre, la question de l’éducation intellectuelle. Ni Beffa ni Villani ne sortent de nulle part : on se réjouit au récit de leur parcours strictement républicain et méritocratique, trouvant pas après pas les sentiers et les bifurcations leur permettant d’aller au bout de leurs (éminents) talents. Que cette éducation soit le fruit d’un jeu de contraintes n’apparaît en rien comme une limite. Et les deux auteurs de répéter à l’envi : « Pas de créativité sans contraintes ». A bon entendeur…
Karol Beffa, Cédric Villani, Les Coulisses de la création, Flammarion, 2015, 253 p., 18 euros