Hier avait lieu devant le tribunal administratif de Paris l’audience du deuxième référé dans l’affaire dite des « loges du Palais Garnier ». Ce référé consistait à attaquer l’autorisation de travaux providentiellement accordée par la DRAC à l’Opéra de Paris le 24 novembre dernier, soit deux jours avant l’audience du premier référé, et qui avait rendu celui-ci sans objet. L’ordonnance du tribunal administratif sera rendue dans les jours qui viennent et il est inopportun et impossible d’en préjuger ici la nature. Une chose cependant est certaine : chaque audience de référé apporte son lot de révélations. Ainsi, la première audience du 26 novembre avait mis au jour l’absence totale d’autorisation pour les travaux réalisés par la direction de l’Opéra dans la salle du Palais Garnier : une infraction attaquable devant la justice pénale.
L’audience du 14 décembre a fait encore plus fort : acculé par la Présidente du tribunal administratif, l’avocat de l’Opéra et de la DRAC a dû reconnaître que les cloisons anciennes avaient été détruites. Se tournant vers le directeur des bâtiments de l’Opéra et vers Dominique Cerclet, conservateur en chef des monuments historiques et signataire de l’autorisation, pour obtenir confirmation, l’avocat n’obtint de leur part qu’un silence consentant et gêné. Malaise profond dans la salle d’audience : car depuis le début, la direction de l’Opéra assure que ces cloisons anciennes ont été « déposées » et non détruites. En le répétant par trois fois lors de la première audience, l’avocat de l’Opéra avait même convaincu la Présidente du tribunal, qui avait repris ce point dans ses considérants de rejet. Cette destruction est, elle aussi, une infraction pénale, mais punie beaucoup plus lourdement que de simples travaux sans autorisation – sans parler de l’inexactitude des garanties données au tribunal administratif lors du premier référé.
L’audience n’a pas manqué de moments assez comiques, par exemple lorsque l’avocat de l’Opéra a extrait d’une pochette deux grandes pièces de tissu : celui des cloisons d’avant, et celui des cloisons d’après, pour convaincre la Présidente du bien-fondé de l’opération. Constatant cependant devant la surprise du tribunal que cette démonstration paraissait un peu incongrue, il ajouta non sans humour : « bon, après, c’est une question de goût » et la Présidente d’ajouter : « je ne sais, Maître, si je dois verser ses pièces au dossier ». Un peu plus tard, l’avocat de l’Opéra déclara : « Si la salle a cet aspect de bouche édentée… » avant de se reprendre « euh… enfin je ne reprends pas cette expression à mon compte, Madame la Présidente, c’est un emprunt verbal fait à la partie adverse ». Triple salto arrière, vrille et rétablissement honorable, mais hilarant. La prestation à la barre de Dominique Cerclet venu défendre lui-même sa pétition ne manqua pas de sel non plus. Ainsi lorsqu’il crut bon de comparer les adversaires de la transformation du Palais Garnier aux adversaires du plafond de Chagall, contempteurs de l’art dégénéré : entendez, s’opposer à cette transformation relève de l’hitlérisme intégral. Clameurs dans la salle (le jour même, dans une double page du Monde consacrée aux « loges de la discorde », Stéphane Lissner réduisait ce conflit à une opposition entre « progressistes et conservateurs » – ce qui est un peu moins pire que nazi intégral). Le même Dominique Cerclet, pressé de présenter le modèle des nouvelles cloisons et d’en expliquer le fonctionnement, eut cette phrase sublime : « Madame la Présidente, je ne peux pas préjuger de l’usage qu’en fera l’Opéra de Paris ». Sauf que préjuger de cet usage est normalement le rôle de la DRAC.