Luca Pisaroni et Thomas Hampson ont proposé ce mercredi au Festspielhaus de Baden-Baden un récital sensiblement équivalent à celui donné au Châtelet le 5 juin dernier, à la différence près que le piano était ici remplacé par un orchestre, celui de la Philharmonie de Baden-Baden, sous la direction de Pavel Baleff, survolté. Comme deux larrons en foire, le tandem du beau-père et du gendre a offert un feu d’artifice qui a enchanté le public. Impeccable prestation pour Le nozze di Figaro et Don Giovanni où Leporello expose son catalogue (de chiens ?) sur tablette numérique, airs d’Hérode ou de Méphistophélès pour la partie française à la diction impeccable, ou encore superbe duo de Don Carlo où curieusement le plus jeune des deux incarne avec force un Philippe II vaillant et exalté face à un Posa dont la sagesse s’impose. La beauté des airs, leur choix judicieux et la bonne forme des chanteurs force l’admiration. Le duo joue de l’ambiguïté des registres de leur baryton respectif, flirtant sans cesse avec l’inversion des rôles. La première partie permet aussi à Luca Pisaroni, au physique très proche de celui du jeune Belmondo, de montrer ses talents de comédien. Les gestes et les mimiques évoquent le Bébel des Tribulations d’un Chinois en Chine et leur aspect élastique et saccadé à la fois détient quelque chose qui relève de la BD. Souple comme un chat, sorte de liane enroulée autour d’un tronc roide, cet homme devrait faire du cinéma. Sa voix est assortie à cette apparence : juvénile, solide mais très mature, flexible et caressante tout en étant capable de coups de force percutants. Thomas Hampson est tout aussi irrésistible, dans un autre genre. Un peu comme Sean Connery, plus il prend de l’âge, plus il embellit. Ce soir, il est d’ailleurs élégant à en tomber raide. Si la voix accuse quelque fatigue pour les aigus les plus tendus, le métier de l’artiste fait oublier les faiblesses qui relèvent dans ce contexte de la broutille et la comparaison avec son partenaire ne lui est pas défavorable.
Le programme des deux compères est un régal à tout point de vue et augmente en intensité au cours de la seconde partie, entamée avec un magistral et poignant « Suoni la tromba » des Puritains, suivi de Semiramide, Otello, puis d’airs de comédies musicales américaines avant de terminer avec un hilarant duo de Don Pasquale, où les deux partenaires arrivent ex-æquo au concours de vitesse de langue. Pour les bonus, deux tubes allemands (à la prononciation plus naturelle pour le gendre, ce qui lui donne l’avantage) Dein ist mein ganzes Herz et un extrait de Gräfin Mariza qui achèvent de faire fondre le public. Pour finir, on nous ressert le duo de Don Pasquale et c’est toujours le plus jeune des deux qui commence, quand le beau-père fait semblant d’être épuisé, tout en remettant le couvert sans faiblir. À deux jours de la pleine lune du vendredi 13, comment voulez-vous aller dormir après ça ? Encore !