Les relations entre Heine, Goethe et Napoléon, auquel le Musée de l’Armée consacre actuellement une exposition sur le thème de l’Europe, servaient de prétexte au programme du récital donné vendredi dernier, 7 juin, dans le Grand Salon de l’Hôtel des Invalides à Paris. Il fallait bien un prétexte pour que Sébastien Soulès puisse interpréter Dichterliebe (les Amours du poète), cycle de lieder composé en 1840 par Robert Schumann sur des poèmes de Heine, dont le baryton semble vivre intimement chacune des notes. A rebours de certaines interprétations qui veulent donner une unité à cette constellation de mélodies, Sébastien Soulès propose une succession de scénettes aux climats contrastés, tour à tour tendres, vifs, tristes, rageurs, voire tragiques. Acteur, non pas conteur, le chant joue d’abord des couleurs du timbre, blême, comme annihilé par le sentiment amoureux (« Ich will meine Steele tauchen » repris en bis à l’issue du récital), ou au contraire violemment sombre, d’un noir de ciel orageux, derrière lequel on devine, inquiétants, Alberich et Le Hollandais, deux rôles qui figurent au répertoire de notre baryton. C’est que la voix doit se faire grande pour dompter l’acoustique et remplir l’espace d’une salle dont la hauteur et la longueur touchent aux limites de l’exercice. Le volume n’est cependant pas la seule raison de l’impression de puissance qui se dégage du cycle. La force de l’expression – l’accent, le regard, le geste – et, au piano, l’accompagnement éperdu de Tristan Raës catalysent l’interprétation. Les Schubert qui suivent en portent les stigmates. Sur les quatre extraits de Schwanengesang, désespérés, souffle encore un vent d’orage mais l’aigu par deux fois appelle le chanteur à plus de raison. Après la pause, les lieder sur des poèmes de Goethe et les Quatre Poèmes de Guy Ropartz perdent en intensité ce qu’ils gagnent en prudence, comme si la flamme s’était éteinte, à l’image du dôme doré des Invalides, visible depuis les fenêtres de la salle, que le soleil à cette heure-là ne brillante plus.