Construit entre 1861 et 1875, le Palais Garnier a survécu au siège de Paris en 1870, aux incendies de la Commune l’année suivante, aux assauts de la « Grosse Bertha » en 1918 ainsi qu’à la seconde guerre mondiale. Il aura donc fallu attendre le XXIe siècle pour que ce bâtiment subisse les premières attaques d’un ennemi bien plus terrible : le fric.
Tous les amateurs d’opéra ou simplement de beaux monuments connaissent la salle magnifique de l’Opéra de Paris, avec ses loges parfaitement alignées, que les touristes du monde entier viennent admirer depuis des décennies. Cette salle était une des rares au monde à être quasiment restée dans son état d’origine, c’est-à-dire tel qu’imaginé par Charles Garnier. Et bien ce chef d’œuvre n’est plus. Déjà la précédente administration avait fait enlever les demi-cloisons séparatives des troisièmes loges de face afin d’ajouter quelques inconfortables rangées de chaises où les spectateurs se côtoient fesse à fesse dans une convivialité discutable. Pour être réelle, la dégradation restait peu visible depuis la salle puisque qu’il ne s’agissait pas de cloisons toute hauteur. Encouragée par ce fâcheux précédent, la nouvelle équipe vient de faire bien pire en supprimant la quasi-totalité des séparatifs des loges de face (il n’en reste plus que deux par étage), les loges de côté restant pour l’instant épargnées. Résultat : la salle ressemble désormais à un vieillard édenté qui n’aurait plus que ses molaires. Que les cyniques ne s’imaginent pas que les conditions visuelles en sont améliorées pour autant : en effet, les loges sont désormais bourrées de sièges supplémentaires et la vue à partir du second rang est médiocre. Bricolage ultime des iconoclastes, des sortes de trônes, formés d’une banquette perchée sur un praticable, positionnés contre le mur de fond de la loge, où vous pourrez entendre confusément les voix des chanteurs entre deux conversations animés des ouvreurs. Et tout ça pour quoi ? Pour faire cracher un peu plus la poule aux œufs d’or que constitue ce merveilleux bâtiment, quitte à le dégrader scandaleusement. On aimerait bien connaître l’architecte des bâtiments de France et celui des monuments historiques qui ont cautionné de telles pratiques, ignorant les obligations les plus élémentaires de leur mission.
Trois loges n’en font plus qu’une © DR