Dans ce genre mixte que devrait être, a priori, la retransmission filmée d’un opéra, il est difficile de contenter les cinéphiles, habitués désormais à une qualité d’image et à des procédés de tournage sophistiqués, et les amateurs d’opéra, particulièrement exigeants en matière d’acoustique. Tout est certes impeccablement formaté mais sans atteindre, ni à l’image ni au son, au miracle espéré.
Pourquoi alors, si l’on appartient à l’une ou l’autre de ces catégories, voire aux deux, aller assister à la retransmission en direct de La Bohème donnée samedi 5 avril au Metropolitan Opera de New York ?
Tout d’abord pour le confort – rares sont les salles d’opéra où l’on est bien assis, nombreuses y sont les places dont la visibilité est réduite, sur le côté, trop loin ou trop haut, en raison d’un spectateur trop grand ou d’une abondante chevelure oscillant devant soi. Rien de tout cela dans les salles du Pathé : bien installé dans un large et moelleux fauteuil, comment ne pas pleurer aux malheurs de Mimi, surtout lorsqu’elle a la voix poignante, le souffle et les inflexions lyriques de Kristine Opolais remplaçant Anita Hartig ? Et même si l’image de l’écran géant subit quelques distorsions lorsqu’on est placé de côté et dans les premiers rangs, on peut voir distinctement le moindre détail du décor merveilleusement classique de Franco Zeffirelli, véritable Musée Grévin de la tradition opératique, avec un soin particulier apporté à la reconstitution de la mansarde parisienne, de l’hiver exprimant la détresse des âmes, des couleurs d’un ciel d’orage zébré d’éclairs.
Pour la qualité des interprètes ensuite, qui se produisent au même moment sur la scène du Met : Susanna Philipps compose une Musetta haute en couleurs, parfait contrepoint de Mimi, et les quatre hommes sont excellents, Vittorio Grigolo en tête, dans un rôle où il a déjà eu l’occasion d’exprimer ses talents d’interprète tant vocal que scénique. Patrick Carfizzi est un Schaunard bien chantant et convaincant, de même qu’Oren Gradus en Colline. Le Marcello humain et généreux de Massimo Cavalletti nous vaut aussi de beaux moment, et l’on retiendra particulièrement le duo avec Rodolfo à l’acte IV. La fin est très réussie, dans sa concision et sa sobriété, exposant combien le scandale de la mort ne réside pas dans l’abandon définitif des mourants au sommeil éternel mais dans l’insoutenable chagrin des vivants.
Pour les « bonus » enfin, si l’on peut employer ce terme comme sur les DVD : non seulement nous assistons en direct, durant les entractes, à de brefs entretiens en anglais entre les interprètes ou le directeur du Met et la fringante Joyce DiDonato, l’œil facétieux, mais nous avons droit à des vues passionnantes des coulisses : plongée vertigineuse dans les entrailles de l’opéra, avec ses techniciens et ses machinistes, ses spectaculaires déplacements de décor et la mise en place soignée, millimétrée, du moindre flocon de neige avant l’ouverture du rideau.
Mais 31 euros la place (23,50 euros pour les étudiants), voilà qui est beaucoup trop cher pour une simple projection – et qui explique la moyenne d’âge élevée du public. [Fabrice Malkani]
Giacomo Puccini, La Bohème, en direct du Metropolitan Opera de New York dans les salles Pathé Live samedi 5 avril 2014. Mise en scène et décors : Franco Zeffirelli. Mimì : Kristine Opolais, Musetta : Susanna Phillips, Rodolphe : Vittorio Grigolo, Marcel : Massimo Cavalletti, Schaunard : Patrick Carfizzi, Colline : Oren Gradus, Benoît/Alcindoro : Donald Maxwell. Direction musicale: Stefano Ranzani
Prochainement : Mozart, Così fan tutte, samedi 26 avril 2014 – Rossini, La Cenerentola, samedi 10 mai 2014 (plus d’Informations).