Déjà diffusée lors de sa création new-yorkaise en 2012 avec Anna Netrebko dans le rôle-titre, la production de Manon signée Laurent Pelly a été retransmise dans les cinémas, en direct du Metropolitan Opera ce samedi 26 octobre. Le spectacle n’a rien perdu de son impact dramatique. L’action est transposée à l’époque de la composition de l’œuvre, soit la fin du dix-neuvième siècle, dans des décors stylisés aux teintes neutres de Chantal Thomas. Les costumes, en particulier ceux des femmes, dessinés par Pelly lui-même sont absolument somptueux, ceux de Manon en particulier. Les danseuses qui apparaissent dans le tableau du Cours-la-Reine ne sont pas sans évoquer les tableaux de Degas. Dès sa descente du fiacre à l’acte I, Manon est observée puis suivie par une troupe d’hommes en habit noir, coiffés d’un haut-de-forme, qui symbolisent sans doute la toute-puissance masculine à l’égard des femmes.
C’est une distribution de choix qui a été réunie pour la circonstance. Bien qu’elle ne comporte aucun chanteur francophone la majorité des interprètes possèdent une diction parfaitement intelligible jusque dans les plus petits rôles. Jacqueline Echols, Laura Krumm et Maya Lahyani, respectivement Poussette, Javotte et Rosette, forment un trio absolument irrésistible, tant sur le plan vocal que par leurs jeux de scène et leurs mimiques. Brett Polegato est un de Bretigny impeccable et Carlo Bosi un Guillot haut en couleur, particulièrement convaincant et drôle dans les dialogues parlés. Kwangchul Youn campe un Comte des Grieux digne à la voix rocailleuse. Doté d’un timbre homogène et chaleureux, Artur Ruciński compose avec subtilité un Lescaut à la personnalité complexe, joueur, irresponsable et finalement pitoyable, Son français reste toutefois encore perfectible. Michael Fabiano trouve en des Grieux un rôle à la mesure de sa tessiture de ténor lyrique. Sans jamais forcer ses moyens il incarne un jeune homme ardent et passionné, tendre lorsqu’il évoque son rêve avec de délicates nuances et un usage judicieux de la voix mixte (« En fermant les yeux, je vois là-bas »), et capable d’accents désespérés à l’hôtel de Transylvanie (« O douleur ! l’avenir nous sépare ») ainsi que dans la scène finale. Au trois, son grand air « Ah ! Fuyez douce image » est chanté avec l’intensité dramatique adéquate. Lisette Oropesa enfin est la grande triomphatrice de la soirée, Elle fait sien le personnage de Manon avec une aisance désarmante. Son apparition timide au premier acte, avec son regard innocent, évoque la jeune Adjani dans L’Ecole des femmes. Elle chante « Je suis encore tout étourdie » avec une timbre pur et cristallin. Au II, elle propose une « Petite table » tout en émotion contenue avant d’apparaître, au début du troisième acte, dans sa féminité, troublante et provocante. Sa voix se fait sensuelle dès les premières notes de « Suis-je gentille ainsi ? » et se pare d’accents nostalgiques dans la gavotte. Sa scène finale enfin est particulièrement poignante, tant sur le plan scénique avec sa démarche épuisée et son visage blafard, que vocal. Cette Manon se hisse d’emblée au niveau des meilleures interprètes du rôle.
Particulièrement inspiré, Maurizio Benini adopte des tempos alertes et excelle à mettre en valeur chaque détail de cette partition luxuriante dont il restitue avec justesse les différents affects.
Le samedi 9 novembre, le Metropolitan Opera retransmettra dans les cinémas du réseau Pathé Live, Madama Butterfly de Puccini avec, dans le rôle-titre, Hui He.