Décédé il y a un peu plus de quinze ans, le compositeur Edison Denisov, élève de Chostakovitch, avait eu le temps d’achever une bien étrange entreprise, l’orchestration du Rodrigue et Chimène de Debussy, dont la création eut lieu en 1993 à l’Opéra de Lyon. Cet « à la manière de » ne doit pas faire oublier ses œuvres personnelles, dont plusieurs opéras : Ivan Soldat (1959), L’Ecume des jours, d’après Boris Vian, créé en 1986 à l’Opéra-Comique (et actuellement donné à l’opéra de Stuttgart), Quatre filles, d’après Picasso (Moscou 1990). Il laisse aussi plusieurs cycles de mélodies, en russe ou en français, comme Le Soleil des Incas (1964), ou La Vie en rouge, également d’après Vian. En 1986, l’Ensemble Intercontemporain lui avait commandé Au plus haut des cieux, cycle de mélodies sur des textes de Georges Bataille créé en mars 87 par Marie Angel et dirigé par Peter Eötvös. Ces sept textes séparés par cinq intermezzos constituent la pièce de résistance – vocale – du disque Denisov que vient de publier Harmonia Mundi, où ils sont accompagnés par deux Symphonies de chambre du compositeur. Malgré leur date de création récente, ces œuvres paraissent extrêmement datées, et Au plus haut des cieux renvoie à une époque où la voix était (mal)traitée avec crispation et méfiance par beaucoup de compositeurs. Edison Denisov aimait-il vraiment la voix ? Paradoxalement, l’auditeur prendra peut-être beaucoup plus de plaisir à l’audition d’une œuvre orchestrée par Denisov, mais composée par sa deuxième femme, Ekaterina Kouprovskaïa, épousée en 1987. Dans un registre beaucoup plus lyrique, ces Cinq Romances d’Anna Akhmatova laissent enfin s’épanouir la voix de Brigitte Peyré, grande spécialiste de la musique contemporaine (elle a notamment enregistré des œuvres de Maurice Ohana, d’Edith Canat de Chizy ou de Thierry Machuel). [Laurent Bury]
Denisov: Au plus haut des cieux | Edison Denisov par Brigitte Peyre