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Arte diffusait hier soir, en léger différé, la deuxième représentation du nouveau Don Carlo salzbourgeois. On peut se demander si le festival autrichien aura un jour le courage de programmer l’oeuvre dans sa version originale, mais c’est un autre débat. Le Grosses Festspielhaus, on le sait, est une salle à la scène démesurément large, qui est pour les metteurs en scène une sorte de cadeau empoisonné ; on se rappelle comment Robert Carsen avait su l’exploiter pour son Rosenkavalier où il multipliait les antichambres autour de la chambre de la Maréchale. Pour ce Don Carlo, les projecteurs permettent de distinguer les principaux protagonistes réduits à la taille de fourmis sur un plateau à peu près nu, mais que Peter Stein sait habiter lors des scènes de foule en maniant habilement choristes et figurants ; plus problématiques s’avèrent les scènes intimistes, le cabinet de Philippe II étant ainsi posé comme un coin de pièce au beau milieu du décor, pour éviter de complètement noyer les personnages dans l’espace. Pour le reste, cette production n’apporte aucun éclairage original sur l’oeuvre, et les chanteurs restent souvent plantés là. Rien de renversant sur le plan visuel, donc. Heureusement, les voix étaient au rendez-vous. Si l’on excepte le Philippe II de Matti Salminen, au volume encore impressionnant, mais à la ligne de chant manquant de netteté et à l’italien abominable, les quatre autres têtes d’affiche tiennent leurs promesses. Anja Harteros envoûte par les beautés de son timbre, malgré quelques aigus un peu durs en début de soirée, et (re)forme son très beau couple avec un Jonas Kaufmann, infant d’emblée névrosé, au timbre toujours aussi barytonnant, ce qui ne va pas sans créer quelques confusions troublantes dans ses duos avec Posa, un Thomas Hampson qui peut désormais se targuer d’une longue fréquentation des rôles verdiens. Heureuse surprise, enfin, avec l’Eboli d’Ekaterina Semenchuk : remarquée dans un petit rôle dans la Iolanta de Madrid, cette jeune mezzo russe trouve ici un personnage à sa mesure et y laisse éclater toute l’ampleur de sa voix. Hier soir, on pouvait donc écouter plutôt que regarder Arte. [Laurent Bury]