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A cinquante et un ans, Dmitri Hvorostovsky porte toujours beau et déploie un organe à l’avenant qui a manifestement séduit le public de la Monnaie lundi dernier. Le baryton à la crinière d’argent fait partie de ces artistes sur lesquels le temps semble avoir sinon suspendu, du moins alenti son irréparable outrage. En vérité, il prend soin de son corps et n’en fait d’ailleurs point mystère (son costume flatte discrètement une plastique avantageuse), mais il a surtout réussi à préserver un instrument dont la richesse, plus de vingt-cinq ans après ses débuts, continue de nous enivrer. En revanche, dans les romances de Tchaïkovski et de Medtner, l’interprétation nous laisse un peu sur notre faim, comme si le tigre de Sibérie, sensible aux critiques qui lui ont parfois reproché une emphase opératique déplacée dans ce répertoire, avait rentré ses griffes et infléchi sa manière. La retenue prévaut, les éclats demeurent parcimonieux et la noirceur (trop) savamment dosée, mais cette sobriété peut aussi se traduire par un allègement opportun et un art de l’estompe particulièrement suggestifs (« Nochnaya pesn strannika »/« Wandrers Nachtlied », Medtner/Goethe). S’il aborde avec plus de panache et d’engagement un des sonnets de Pétrarque mis en musique par Liszt sur lesquels s’ouvre la seconde partie du récital (« Pace non trovo »), le Russian lover trébuche sur quelques voyelles et se révèle bien précautionneux dans le second (« I’ vidi in terra angelici costumi »). Heureusement, l’expression se libère chez Rachmaninov où il rivalise enfin d’éloquence avec le piano, superlatif et extrêmement présent, d’Ivari Ilja, l’émotion culminant dans la célèbre mélodie nostalgique « Ne poy, krasavitsa, pri mne » (« Ne chante pas, beauté »). L’auditoire en redemande, mais le chanteur, imperturbable, passe son pouce sur sa gorge et les applaudissements cessent aussitôt : il n’y aura pas de bis, la voix n’est plus en état semble dire ce geste d’ordinaire menaçant qui coupe l’élan, à défaut de la carotide de ses plus fervents admirateurs. Économe jusqu’au bout, la star repart, sans un mot. [Bernard Schreuders]