Ceux qui évoquent avec émotion « l’ère Liebermann » à l’Opéra de Paris ont souvent tendance à oublier que les décennies précédentes furent à peine moins brillantes sur le plan artistique. Avant 1973, le Palais Garnier accueillait déjà des stars internationales, tout en ayant sa propre troupe de chanteurs, parmi lesquels on comptait des interprètes de premier plan. La contralto Denise Scharley eut ainsi pour partenaire Mario Del Monaco dans Samson et Dalila et Jon Vickers dans Un bal masqué. Pourtant, pas de carrière planétaire pour cette grande Amneris et cette Carmen d’exception, malgré une voix d’une densité et d’une homogénéité admirables, comme nous le rappelait récemment le disque que le label Malibran lui a consacré dans sa série « La troupe de l’Opéra de Paris ». Une biographie vient nous confirmer son éminence dans le chant français d’après-guerre. Due au propre fils de l’artiste, elle nous plonge dans la vie privée de l’interprète, tout en évoquant un parcours émaillé de prestigieuses créations françaises : Madame de Croissy dans Dialogues des Carmélites, rôle écrit sur mesures par Poulenc (1957), Madame Flora dans Le Médium de Menotti (1961), Carmen Gloria dans Tango pour une femme seule, de Raffaello de Banfield (1964). C’est aussi l’occasion de croiser les grands noms de l’époque, les amies et les rivales, et d’entrevoir celui qui fut le protecteur et l’amant de Denise Scharley, l’énigmatique et séduisant Myr Chaouat, joueur incorrigible et éminence grise de l’art lyrique dans les années 1950.
Gérard Lecaillon, avec la collaboration de Sylvie Noliac, Carmen, il est temps encore… Denise Scharley, de l’opéra de Paris, disponible sur www.XinXii ou en kindle sur Amazon