Nos lecteurs se demanderont sans doute pourquoi notre revue évoque deux animateurs de télévision dont la carrière n’eut aucun rapport avec l’univers lyrique. C’est l’occasion de rappeler celle de leur grand-père. Né en 1887, Roland Wiltse Hayes était un ténor américain, compositeur à ses heures. Doué en langues étrangères, il défendait avec un égal bonheur des compositions en anglais, en français, en allemand ou en italien. Ses talents se révélaient davantage dans la mélodie que dans l’opéra, un 78 tours privé de Vesti la giubba (1919), moyennement convaincant, en témoigne. Ses enregistrements commerciaux sont d’ailleurs rares (le premier date de 1939) : Hayes avait en effet le grand défaut d’être afro-américain dans un pays où la ségrégation et le racisme était une réalité quotidienne. Les artistes musicaux noirs-américains admis à enregistrer leurs talents étaient de plus cantonnés au jazz, aux negro spirituals ou à la musique de vaudeville : il n’existe ainsi aucun témoignage de l’art d’artistes afro-américaines comme Matilda Sissieretta Joyner Jones (pourtant surnommée The Black Patti, en référence à Adelina Patti) ou de Marie Selika Williams, première chanteuse lyrique noire invitée à la Maison Blanche en 1878. Autre mélodiste afro-américaine, Marian Anderson, née en 1897, fut la première chanteuse noire invitée à se produire au Metropolitan Opera. En 1955, elle y fit des débuts vocalement tardifs mais hautement symboliques, en Ulrica (son premier et unique rôle lyrique), et sans black face (Un Ballo in maschera était donné à l’époque dans la version transposée à Boston). William Hayes disait avoir des ancêtres Cherokee et un arrière-grand-père chef de clan en Côte d’Ivoire, réduit en esclavage et emmené aux Etats-Unis en 1790. Hayes qui chantait dans une église de Chattanooga, découvrit l’opéra vers sa douzième année, en entendant un air de ténor. Il se lancera plus tard dans des études musicales classiques, au grand dam de sa mère, persuadée qu’il n’y avait aucun argent à faire avec une telle couleur de peau. En dépit de ces noires prédictions, Hayes commence une petite carrière, puis se perfectionne à Boston : son professeur le reçoit chez lui plutôt qu’à son studio pour les raisons qu’on devine. Au début, faute de producteur, il doit lui-même payer d’avance la location des salles où il se produit mais le succès vient. Dès 1915 (à 28 ans, donc), il chante au Carnegie Hall. Comme Anderson, Hayes fit des tournées en Europe. En 1920, il chante à Londres devant la famille royale à Buckingham Palace. En 1923 , c’est la consécration à Boston : il y chante un programme Berlioz, Mozart et spirituals avec le Philharmonique dirigé par Pierre Monteux, premier soliste noir à avoir été invité dans ces lieux. Devenu un artiste reconnu, il s’établit professeur de chant. En 1948, il publie ses arrangements de chansons populaires. Hayes donne un dernier concert en 1972. Il décède le 1er janvier 1977.
C’est bien joli me direz-vous, mais quel rapport avec les Bogdanoff ? En 1925, à l’occasion d’une de ses tournées européennes, Hayes est invité à se produire au Château de Schönbrunn. L’idée en revient à la comtesse Bertha Henriette Katharina Nadine von Kolowrat-Krakowskà (appelons-là Bertie). Celle-ci à l’habitude d’organiser des festivités pour l’aristocratie autrichienne. Bertie est l’épouse du comte Hieronymus von Colloredo-Mannsfeld (de 20 ans son aîné et pas flatté sur son portrait…). Neuf mois plus tard, Bertie accouche à Bâle, d’une petite fille, baptisée Maya. Entre temps, Bertie a divorcé et fuit Vienne. L’enfant ne sera pas reconnu par son père. Bertie émigre en France et s’installe dans le Gers, au modeste Château de Saint-Lary qu’elle acquiert. Elle semble s’y amuser beaucoup et y élève sa fille dans les principes qui l’ont toujours guidés. C’est ainsi que, vers 1948, Maya, déjà enceinte de deux jumeaux, épouse Youra Mikhaïlovitch Ostasenko-Bogdanoff, peintre descendant d’émigrés politiques russes. Youra avait lui-même été élevé en Espagne par le prince géorgien Irakli Bagration-Mukhraneli (immigré également) et sa troisième épouse Infanta María de las Mercedes of Spain (!). Bertie et Youra auront six enfants : Igor, Grichka, François, Laurence, Géraldine et Véronique Ostasenko-Bogdanoff. Maya est morte à l’âge de 56 ans en 1982, Youra en 2012 à l’âge de 84 ans. Grichka et Igor décèdent respectivement les 28 décembre 2021 et 3 janvier 2022 à l’âge de 72 ans.
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