Il y a bien sûr du ménestrel et de l’homme orchestre chez Nicolas Achten ; encore faut-il le voir à l’œuvre pour prendre vraiment la mesure de ses dons. Le baryton, qui joue aussi de la harpe mais cède en l’occurrence la place à l’excellente Sarah Ridy, s’accompagne au luth dans un lamento de Stefano Landi avant de toucher le virginal pour une toccata de Rossi, puis de joindre sa voix à celles des chantres de l’ensemble Scherzi Musicali pour exalter l’altière beauté de Domenico Mazzocchi. Actualité oblige, le compositeur romain se trouve au coeur d’une tournée qui emmène ces amoureux du Seicento sur les routes de Flandre et des Pays-Bas, avec un détour par Bruxelles, samedi dernier, et, n’en doutons pas, une apothéose dans le Loiret le 20 mai prochain (Amilly).
Après avoir gravé l’Euridice de Caccini, inédite en CD, des motets de Sances et d’autres de Fiocco, Scherzi Musicali a signé chez Alpha qui vient de publier en première mondiale l’enregistrement de La Catena d’Adone. René Jacobs avait programmé cet ouvrage, considéré comme le premier opéra romain, au festival d’Innsbruck en 1999. Une mise en scène est-elle pour autant indispensable, comme l’évoquait récemment Maximilien Hondermarck, afin de stimuler l’œil et, à travers lui, l’esprit ? Dans les fragments proposés, comme d’ailleurs dans les extraits des Musiche sacre e morali (1640), Nicolas Achten et Reinoud Van Mechelen, splendide ténor haute-contre, démontrent que le verbe n’a nul besoin d’image ni de geste pour s’incarner quand les artistes en sont pénétrés. En revanche, ces derniers ont peut-être besoin des circonstances du live, de sa prise de risques, de la présence du public pour être touchés par cette grâce fugitive qui tend à disparaître devant les micros…
Sans être aussi extravagant ni radical que Gesualdo ou Michelangelo Rossi, Mazzocchi illustre, à sa manière, l’audace qui saisit dans les premières décennies du dix-septième siècle les aventuriers du « je » poétique et dramatique, affranchis de l’abstraction polyphonique. Il va sans dire qu’il mériterait largement de quitter l’ombre imposante de Carissimi. Domenico Mazzocchi (à ne pas confondre avec son cadet, Virgilio, co-auteur de l’opéra bouffe L’Egisto remonté par Jérôme Corréas la saison dernière) développe un langage harmonique très personnel, affectionne les chromatismes et explore la microtonalité pour mieux épouser la diversité des affects que le soprano charnu, mais aussi éclatant de Marie de Roy, plutôt inhabituel dans ce répertoire, peine quelquefois à restituer ( « Lagrime amare »). Dans ces pages exigeantes, Jill Feldman et Maria-Cristina Kiehr demeurent inégalées.
Les partitions du Romain présentent également des indications de tempo et de nuances dynamiques, une pratique inhabituelle à l’époque et qui nous montre que le compositeur se faisait une idée très précise de la manière dont sa musique doit être interprétée. Nicolas Achten également, qui excelle en particulier dans le pathétique (« Padre del Ciel ») et se révéle plus sensible, plus habité que ses partenaires. La richesse des accents, le choix des ornements trahissent un raffinement de tous les instants, parfois presque maniériste que peu de chanteurs possèdent à un tel degré. C’est une personnalité avec laquelle il va falloir compter et qui n’a pas fini de nous surprendre ! [BS]
Lagrime amare, Scherzi Musicali. Marie de Roy, soprano ; Reinoud Van Mechelen, ténor ; Nicolas Achten, baryton, théorbe, virginal ; Eriko Semba, viole de gambe ; Sarah Ridy, harpe triple. Eglise des Minimes, Bruxelles, 5 mai 2012