Comme nous l’avions reporté, la Lucia di Lammermoor qui devait inaugurer la saison 2020-2021 du Teatro alla Scala le 7 décembre prochain, a dû être annulée pour cause de COVID. Dominique Meyer annonçait aussitôt un concert exceptionnel pour cette même date. Suite à la conférence de presse du 25 novembre dernier, on en sait davantage sur cet événement qui réunira une distribution de luxe sous la baguette du directeur musical, Riccardo Chailly, à la tête du chœur et de l’orchestre de la Scala. Après avoir longuement remercié les sponsors restés fidèles à l’institution milanaise, le surintendant de la Scala a égrainé l’impressionnante liste de participants. Lisette Oropesa, Juan Diego Flórez et George Petean, initialement partenaires de la Lucia, seront bien sûr de l’événement. Participeront également : Marina Rebeka, Rosa Feola, Sonya Yoncheva, Camilla Nylund, Aleksandra Kurzak, Eleonora Buratto, Kristine Opolais, Elīna Garanča, Marianne Crebassa, Jonas Kaufmann, Piotr Beczała, Vittorio Grigòlo (le surintendant s’est d’ailleurs repris pour prononcer correctement l’accent sur le « o » de Grigòlo, précisant que le ténor italien y tenait beaucoup), Benjamin Bernheim, Roberto Alagna, Andreas Schager, Plácido Domingo, Ludovic Tézier, Luca Salsi, Carlos Alvarez et Ildar Abdrazakov. Comme le souligne Dominique Meyer, on a rarement vu une telle brochette de chanteurs alignés pour une seule soirée (et de citer le gala du centenaire du Metropolitan en 1983, et le concert pour la Casa Verdi dirigé par Claudio Abbado en 1979), surtout avec un délai de réaction aussi court (quand on voit ce qu’a proposé l’Opéra de Paris en s’y prenant 350 ans à l’avance..). Mais Dominique Meyer veut aller au-delà d’un simple concert, aussi prestigieux soit-il. Il souhaite créer de l’émotion au travers d’un spectacle qui réaffirme le haut niveau du théâtre, l’importance de l’opéra pour la société, et de la Scala pour Milan. Les principaux stylistes italiens ont ainsi été invités à habiller les interprètes. Riccardo Chailly et Davide Livermore ont donné une réalité à ce parcours souhaité par Dominique Meyer, parcours qui s’ouvrira par la « Maledizione ! » de Rigoletto pour s’achever par une page de Rossini en guise de catharsis (mot qui sera prononcé trois fois au cours de la présentation, par chacun des intervenants), une ode à la liberté reconquise (on imagine bien le sublime finale de Guillaume Tell et l’émotion qu’il pourrait susciter en ces temps si troublés). Trois pas de ballet figureront également au programme, avec la participation du piémontais Roberto Bolle « qui fait partie de la maison ». Dominique Meyer en a profité pour annoncer l’arrivée de Manuel Legris, nouveau directeur du ballet. Le programme musical couvre un siècle d’opéra, de Guillaume Tell à Turandot, au travers de compositeurs qui ont particulièrement marqué la maison : cinq pages de Verdi, trois de Puccini, trois de Donizetti, une de Rossini et une de Giordano. Les compositeurs étrangers seront représentés par Bizet, Massenet et Wagner. La progression dramaturgique sera axée sur trois duos, qui feront évoluer le récit. Riccardo Chailly a déclaré que l’opéra célébrait la simultanéité de tous les arts, et qu’il s’agissait de l’un des objectifs de ce concert. Dominique Meyer a rappelé l’importance de la Scala dans la société civile milanaise, et les interactions de l’opéra avec toutes les composantes de la société italienne. Davide Livermore a tenu à préciser que l’opéra était un art, et pas de l’entertainment (sic). « L’entertainment, c’est passer un bon moment. L’art, c’est toucher l’âme des gens ». Il a évoqué les aspects sociétaux évoqués dans l’opéra, « fabrique de songes » : la lutte contre un pouvoir injuste, la pauvreté, la place de la femme (ladite place n’étant visiblement pas au sein de la conférence de presse…). Le spectacle doit trouver à résonner dans le cœur de tout italien, quel que soit sa condition sociale. Le metteur en scène « qui a accepté le challenge en un quart de seconde » selon Dominique Meyer, intégrera aussi la « prose italienne ». La RAI diffusera en direct l’événement (qui est annoncé comme très long) et beaucoup de moyens techniques sont mobilisés : scénographie classique, digitale, réalité augmentée… Au-delà de ces prouesses, ce qui est surtout remarquable et admirable avec ce gala, c’est qu’il tranche avec ces soirées faussement luxueuses, sans contenu et sans âme, et qui ne visent qu’à remplir les caisses. Si elle est à la hauteur de ses ambitions, cette soirée promet en effet d’être un événement majeur pour la culture européenne. « La Scala is back in business ! ».