Train Town © DR
Art lyrique et court métrage, un mariage avec histoires
par Roland Duclos
Qui pourrait croire que le grand répertoire lyrique tienne une telle place dans la bande son des courts métrages ? Et plus encore fasse à ce point sens, donne le couleur et le ton d’un scénario ? Ce difficile exercice de style, de quelques secondes à quelque quarante minutes, demeure le passage obligé pour tout réalisateur qui se respecte. Il a vu les plus grands noms du cinéma y faire leurs premières armes et on ne compte plus les petits formats qui ont accouché de versions longues devenues des chefs-d’œuvre. Qu’il s’agisse de fictions, documentaires, productions expérimentales ou animations, le court métrage qui se fait pour beaucoup le témoin des préoccupations de notre époque, aurait plus volontiers tendance à privilégier des musiques au diapason des goûts du moment, en phase avec les modes.
Or on s’aperçoit que l’art lyrique, victime de préjugés qui en font auprès du grand public une musique si ce n’est obsolète du moins désuète, supposée en totale inadéquation avec la modernité du cinéma, est loin de jouer les faire-valoir dans la production du film court. On en voudra pour preuve la programmation du 36e Festival du Court Métrage de Clermont-Ferrand qui vient de mettre un clap de fin sur des films où la voix majuscule ne se contente pas, loin de là, de jouer les seconds rôles. Bien au contraire, extraits d’opéras, mélodies, oratorios sacrés ou profanes portent littéralement l’action quand ces répertoires ne partagent pas la vedette avec l’image. Nous sommes aux antipodes de la musique d’ascenseur. Ni caution intellectuelle, ni vernis culturel, pas davantage habillage kitsch ou chic, les grandes pages lyriques chaque fois qu’elles interviennent, s’imposent en tant qu’élément constitutif de l’image et de la dramaturgie dans une quinzaine de films sur plus d’une centaine que comptait la sélection internationale et américaine.
On en voudra pour preuve Alcina de Haendel, dimension constitutive du film franco-algérien « Les jours d’avant », de Karim Moussaoui, poignante chronique d’amours adolescentes sur fond de montée de guerre civile dans les années 90 dans Alger. L’air « Ah ! Mio cor » notamment, joue véritablement un rôle clef tout au long des quarante minutes du film. La musique n’accompagne pas seulement le drame mais elle en sublime l’inexorable progression tout en donnant une portée qui loin de dater les événements leur confère au contraire leur dimension véritablement universelle. Sur le même registre d’intensité, l’émouvant « D’où que vienne la douleur » sur les relations d’une fille retrouvant sa mère prostituée ne serait pas tout à fait ce qu’il est sans le fameux aria « O let me weep » extrait de The Fairy Queen de Purcell.
Carmen, l’un des opéras parmi les plus joués au monde, reste à la hauteur de sa réputation avec sa cultissime Habanera. On la retrouve dans pas moins de trois courts métrages ! Mais la palme en revient au très parodique et irrésistiblement comique « MeTube : Auguste sings Carmen Habanera » de l’Autrichien Daniel Moshel. On y voit un mélomane s’égosiller et massacrer Bizet avec application et sans scrupule, accompagné par des instrumentistes tout droit échappés d’un film X tendance SM… Quatre minutes de pur délire d’une rare impertinence dans le genre décalé et irrésistiblement provocant.
Certaines références (le Requiem de Mozart, les Quatre derniers lieder de Strauss, « Au fond du temple saint » des Pêcheurs de Perles de Bizet) peuvent apparaître plus brèves mais elles n’en occupent pas moins une place centrale dans des scénarios portés alors à leur acmé. On prendra pour exemple la Bachianas Brasileiras n° 5 de Villa-Lobos dans « Solidarity » de l’Américain Dustin Brown sur les travailleurs sans papier aux Etats-Unis. La voix intervient dans les instants d’extrême tension, exprimant le désarroi et la misère mieux que ne le ferait n’importe quel dialogue. C’est aussi en lieu et place de la parole, à la manière d’une voix off, que le Stabat Mater de Vivaldi vient suggérer les fantasmes mortifères d’un enfant dans « Insolation », film d’animation plein de poésie et de pudeur de Morgane Le Péchon. Et comment ne pas citer « Train town » de l’américain Keith Bearden, véritable catalogue lyrique ayant pour décor le modélisme ferroviaire, enjeu d’une féroce lutte idéologique entre deux passionnés. Ils s’affrontent par Mozart interposé sur l’air des Noces « Voi che sapete » interprété par Anne Sofie von Otter, convoquent le « Laudamus te » du Gloria RV589 de Vivaldi, se provoquent sur « Alma del gran Pompeo » du Giulio Cesare de Haendel, se défient à travers « La luce langue » du Macbeth de Verdi par Shirley Verrett pour finir sur « Le perfide Renaud me fuit » de l’Armide de Gluck.
Côté répertoire contemporain, « How we tried a new combination of light » de la cinéaste lituanienne Alanté Kavaïté, met en scène l’étrange et fascinant voyage initiatique d’une jeune femme sur l’œuvre éponyme du compositeur Olivier Mellano. La soprano Valérie Gabail accompagne cette partition traversée de multiples influences, du baroque à Arvö Part et Gavin Bryars en passant par le classicisme le plus assumé, le minimalisme et le bruitisme.
Gardons le meilleur pour la fin avec « Una furtiva lagrima », petit chef d’œuvre d’humour dévastateur de trois minutes venu des Etats-Unis et signé Carlo Vogele : sur la voix de Caruso, une carpe chante en play back son chemin de croix depuis l’étal du poissonnier jusqu’à la poêle à frire. L’art lyrique à toutes les sauces ? Plus exactement, on prend conscience que la richesse expressive et la diversité de caractère du grand répertoire vocal classique lui ouvre d’infinies déclinaisons sur bien des registres et qu’il reste une source d’inspiration sans limite. Particulièrement dans ce dernier exemple, où c’est bien la musique de Donizetti qui écrit l’action !
Mais exception faite de ce dernier exemple, on peut regretter que les références musicales ne soient pas plus explicitement mentionnées au générique où elles apparaissent seulement en toute fin, de façon très succincte et à une rapidité telle que la lecture en est quasiment impossible.