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Anne Boleyn, la reine aux yeux bleu-nuit

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Enquête
18 octobre 2018
Anne Boleyn, la reine aux yeux bleu-nuit

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« Elle fut de mauvaise lignée, de mauvaise réputation avant son mariage, puis exécutée pour adultère ». Voici comment certaines chroniques décrivent une reine consort aussi célèbre que méconnue. Dans le violent XVIème siècle anglais, bien des rumeurs, souvent malveillantes, ont entouré les femmes qui y ont occupé des places de premier rang. Parmi celles autour d’Anne Boleyn, même sa description physique fait l’objet de manipulations. Il en est ainsi de la légende tenace de la main droite à 6 doigts, laquelle ne pourrait être qu’une petite malformation.  On a même dit qu’elle avait 6 doigts de pied,  3 seins, une surdent et un goître ! Plusieurs visiteurs de la cour d’Angleterre décrivent plutôt une femme charmante davantage que belle, mais surtout « grâcieuse et éloquente ». Sa peau hâlée – ce qui n’était guère prisé à l’époque – la font parfois surnommer « la brunette ». Mais les témoignages concordent pour parler de ses yeux fascinants, entre le bleu profond et le noir, et de ses beaux cheveux, tout aussi noirs et dont elle était semble-t-il très fière. Il est assez difficile de s’en faire une idée car les portraits d’elle sont rares et leur authenticité n’est pas certaine, mais son pouvoir d’attraction semble, lui, clairement établi.

Il est également à peu près admis qu’Anne Boleyn naît en 1500 ou 1501, au domicile de ses parents à Blicking, près de Norfolk. Elle n’a rien d’une roturière, contrairement à une autre rumeur tenace et alimentée avec mépris par ses ennemis aristocrates. Sa mère, Lady Elisabeth Howard, est la fille de Thomas Howard, comte de Surrey, futur duc de Norfolk, l’une des familles les plus puissantes d’Angleterre. Son père, Thomas Boleyn, est un diplomate proche du précédent roi Henry VII. Il occupe des fonctions élevées à la Cour, jusqu’à devenir l’ « Esquire of the Body » du roi. C’est lui qu’Henry VIII choisit en 1512 comme ambassadeur auprès de Marguerite de Habsbourg, archiduchesse d’Autriche, alors régente des Pays-Bas. Puis il sera successivement ambassadeur auprès du roi de France et de Charles Quint avant de devenir un riche protagoniste influent à la Cour d’Henry VIII. Il sera exilé au moment de l’exécution de sa fille. 

Boleyn confie dès 1512 Anne à la Maison de l’archiduchesse Marguerite pour qu’elle y reçoive la meilleure éducation possible.  Elle devient dame d’honneur de cette dernière et de ses nièces : Eléonore, future reine de France, et Isabelle, future reine de Danemark, de Suède et de Norvège. En quelques mois, on lui donne tous les rudiments nécessaires à une dame de son rang. Elle apprend également le tir à l’arc, le dressage des faucons, la chasse et l’équitation et se passionne pour la musique et la danse. En août 1514, Henry VIII a fait la paix avec la France et donne sa sœur Mary en mariage à Louis XII. Anne devait faire partie des dames de compagnie de la nouvelle reine. La mort soudaine du roi Louis et l’avènement de François Ier auraient dû la ramener en Angleterre, mais Anne, remarquée par la nouvelle et jeune reine Claude de France, reste auprès de celle-ci pendant 7 ans. On sait peu de choses sur ces années, mais elle y parfait son art de la danse et du chant. Joueuse de luth distinguée, elle gardera un goût prononcé pour la littérature écrite en langue française.



Portrait anonyme d’Anne Boleyn (XVIème siècle)

Les menaces de guerre entre la France et l’Angleterre la ramènent dans son pays et la voici dame de compagnie de la reine Catherine à Windsor. À environ 20 ans, il est grand temps de lui trouver un mari. Une première union avait été envisagée avec James Butler, comte d’Ormonde, mais sans aboutir. Un engagement beaucoup plus sérieux se dessine en 1523 avec Henry (et non Richard comme on le trouve dans le livret de l’opéra) Algernon Percy, futur 6èmecomte de Nothumberland, page du puissant cardinal Wolsey, principal ministre du roi. Ce dernier, sans doute sur l’ordre d’Henry VIII qui a déjà remarqué Anne, sermonne le jeune homme et interdit toute entrevue. On s’arrange avec forces menaces pour rompre l’engagement des deux jeunes gens, on éloigne Anne et on marie vite Percy à une fille Talbot, mariage fort malheureux. Contrairement à ce que raconte l’opéra de Donizetti, s’il était bien amoureux d’Anne et s’il était semble-t-il aimé en retour, Percy ne tentera pas de la reconquérir et ne sera pas condamné à mort en même temps qu’elle. Il fera au contraire partie du conseil des lords qui la jugera mais il ne s’en remettra pas. L’éloignement d’Anne la conduit à rencontrer le poète Thomas Wyatt, très apprécié du roi, et qui vit alors non loin de la famille Boleyn. Il semble qu’il soit lui aussi tombé profondément amoureux d’Anne, sans qu’on puisse affirmer avec certitude qu’il en fut l’amant. Quoi qu’il en soit, leur relation paraîtra toujours suffisamment suspecte aux yeux des adversaires d’Anne, puis du roi, pour que Wyatt soit lui-même arrêté, puis innocenté, en mai 1536. 

De son côté, Henry VIII projette depuis quelques temps de se séparer de la reine Catherine d’Aragon qui ne lui a donné qu’une fille, Marie, et ne peut désormais plus enfanter. Il n’avait jamais eu beaucoup d’affection pour son épouse, veuve de son frère Arthur et qu’il avait épousée à son tour par calcul politique. Le choix de maîtresses successives ne lui suffit plus. Il veut se remarier pour obtenir un héritier mâle légitime. Il n’a alors aucun doute que son mariage sera invalidé par le pape et engage la procédure en mai 1527. C’est à l’occasion des fêtes données à Hampton Court pour célébrer une promesse de mariage entre la fille du roi et le Dauphin de France, qu’Henry montre publiquement son attachement à Anne Boleyn, pourtant tenue à distance par Wolsey.

17 lettres d’Henry à cette dernière, écrites durant cette période, nous restent aujourd’hui. Elles montrent notamment son impatience, en particulier la quatrième : « En repensant sans cesse au contenu de vos dernières lettres, je me suis plongé dans une grande agonie (…) Je vous supplie maintenant, avec le plus grand sérieux, de me faire connaître vos complètes intentions, s’agissant de notre amour. Je dois absolument obtenir cette réponse de vous, étant depuis plus d’un an piqué par le dard de l’amour et n’étant pas encore certain si j’échouerai ou si je trouverai une place dans votre cœur (…). ». Et il signe « HR aucun autre AB ne cherche ».

Car elle le fait attendre. Dame de compagnie d’une reine qu’elle estime, elle sait aussi que la faveur du roi lui crée d’autant plus d’ennemis à la Cour.  Mais Anne est ambitieuse. Si elle doit céder, elle ne veut pas être une simple maîtresse, comme l’avait été sa sœur et tant d’autres. Elle veut être la reine.  Et Henry a besoin d’un fils légitime pour éviter à l’Angleterre une nouvelle guerre civile de succession après sa mort. Si bien que dans ses lettres, il décrit à Anne les progrès de la procédure qu’il a engagée auprès du pape. Leur liaison est connue de tous.

Au départ, Clément VII semble assez favorable mais Catherine actionne Charles Quint, son neveu, pour qu’il fasse pression sur lui. Le cardinal Wolsey, envoyé à Rome pour plaider le cas, s’aperçoit vite que la partie serait plus difficile que prévu. Henry VIII perd patience et révoque Wolsey qui, malade, échappe de peu à la hache. Anne révèle à cette occasion une ambivalence assez antipathique, écrivant peu avant la chute de Wolsey une lettre pleine d’une hypocrite humilité pour s’enquérir de la santé du cardinal. Elle ne lui a pas pardonné l’épisode Percy.

Sur le conseil d’un clerc opportuniste, Thomas Cranmer, Henry VIII et son nouveau Premier ministre, sir Thomas More, font appel à une foule de théologiens et d’universitaires européens qui interprètent favorablement les textes pour aboutir à la conclusion que le mariage du roi avec Catherine était illégal et illégitime. Le pape, agacé par ces manœuvres, exige toujours que le roi comparaisse à Rome, ce qu’Henry refuse avec hauteur. Provocateur, il envoie auprès du pape Thomas Boleyn lui-même ! Clément VII interdit donc le remariage.  

C’est Thomas Cromwell,  familier de la Cour et futur principal ministre qui aura aussi une fin tragique, qui conseille alors au roi de s’affranchir de cette interdiction et de tourner le dos à l’Eglise catholique, ouvrant la voie au schisme anglican. En janvier 1531, Henry VIII est déclaré par le Parlement chef de l’Eglise d’Angleterre et le roi fait Anne Boleyn marquise de Pembroke, titre qui n’avait jamais été accordé une femme non mariée. Le mariage tant attendu est célébré en secret en novembre 1532 ou janvier 1533, après plus de 6 ans de liaison, tandis que celui avec Catherine est cassé en mai par Cranmer, devenu archevêque de Canterbury. Anne est couronnée en grandes pompes le 1erou le 2 juin suivant selon les historiens (ce qui, par un curieux hasard de l’Histoire, situerait ce couronnement 420 ans jour pour jour avant celui de l’actuelle reine Elizabeth). Le pape excommunie Henry VIII, consommant le schisme. 


Henry VIII vers 1537, par Hans Holbein

Le 7 septembre 1533, Anne accouche d’une fille, la future Elizabeth Ière, à la grande déception du roi. Elle est également en butte à de vives tensions avec les siens. Son père et sa sœur Mary s’éloignent de la Cour et son frère, George Boleyn, comte de Rochford, est marié à l’une de ses pires ennemies, Jane Parker. Les relations avec Henry VIII se dégradent très rapidement. Le roi lui est très infidèle et le couple se déchire devant témoins très souvent. L’annonce de la mort de l’ex-reine Catherine plonge Anne dans une joie féroce qu’Henry, qui a ordonné à la Cour de prendre le deuil, ne pardonnera pas. Enfin, une nouvelle fausse couche d’Anne début 1536 provoque sa colère et précipite le drame. 

C’est à ce moment que la trame de l’opéra de Donizetti commence. Le roi s’est épris d’une des dames d’honneur d’Anne, Jeanne Seymour, lui faisant vivre ce que Catherine d’Aragon avait vécu. Il est clair qu’Henry cherche un prétexte pour se débarrasser d’Anne. 

Lors d’un tournoi à Greenwich, début mai, Henry remarque qu’un chevalier ramasse le mouchoir qu’Anne a fait tomber à ses pieds et le porte à son visage. C’est le signal : il fait arrêter le chevalier, un certain Norris et par la même occasion lord Rochford, accusé d’inceste avec sa propre sœur ; avec deux autres familiers de la reine, dont son musicien favori Mark Smeaton, le Smeaton amoureux transi décrit par Romani et Donizetti, accusé lui aussi d’avoir couché avec la reine. Anne est enfermée à la Tour de Londres. Son oncle, le duc de Norfolk, ainsi que Thomas Cromwell, lui notifient qu’elle est accusée d’adultère et d’inceste. Toutes sortes de témoins opportuns viennent corroborer l’accusation, sa belle-sœur en tête. Jane Parker reconnaîtra plus tard avoir menti pour sauver sa propre vie.

Depuis sa « triste prison de la Tour, ce 6 mai 1536 », Anne, qui proteste énergiquement de son innocence, écrit au roi une dernière lettre dans laquelle transparaît une ironie grinçante: « (…) De quelque façon que Dieu ou vous puissiez décider de mon sort, Votre Majesté ne sera du moins exposée à aucun reproche ; quand ma faute aura ainsi été juridiquement prouvée, vous aurez droit devant Dieu et devant les hommes, non seulement à la rigueur de punir une femme parjure, mais encore de suivre votre nouvelle affection déjà fixée sur la personne qui est devenue la cause de l’état où je suis. Je connais depuis longtemps votre penchant pour elle, et Votre Majesté n’ignore pas quelles étaient mes inquiétudes à ce sujet ». On ignore le rôle de Jeanne Seymour dans toute cette affaire, ni qu’elle ait pu montrer les signes d’affliction qu’on voit dans l’opéra de Donizetti. Mais il n’en reste pas moins qu’il s’agissait d’une personne douce et aimable peu suspecte de cruauté.

Henry a déjà pris sa sinistre résolution et veut juste sauver les apparences. 26 lords se réunissent sous la présidence du duc de Norfolk et condamnent la reine à mort par décapitation ou par le feu, « selon le bon plaisir du roi ». Il en va de même pour les autres accusés, à l’exception de Wyatt. Henry VIII exige au surplus l’annulation du mariage de même que la proclamation de l’illégitimité de leur fille Elizabeth. L’archevêque de Canterbury, le très servile Cranmer, ne se fait pas prier et prononce le tout le jour de l’exécution des premiers condamnés, le 17 mai. 

Anne est exécutée par décapitation le matin du vendredi 19 mai 1536. Avant que le bourreau ne fasse son office « à la française », c’est à dire sans billot, elle s’adresse à la foule réunie dans l’enceinte de la tour de Londres :

« Bon peuple chrétien, je vais en votre présence souffrir la mort à laquelle je reconnais avoir été condamnée par la loi. Vous dire que c’est avec justice, je ne le puis. Je supplie le Tout-Puissant de faire régner le roi longtemps sur vous, car c’est le prince le plus aimable et le plus doux qui ait jamais existé. Ses bontés pour moi ont été grandes et si quelqu’un voulait s’enquérir de mes actions, je le prie d’y bien réfléchir, et de ne pas admettre de censures téméraires. Je prends donc congés de vous tous et vous supplie de tous prier pour moi ».  Ces paroles inspirèrent Romani pour le célèbre « Coppia iniqua » qui clôture  l’opéra de Donizetti.

 


Exécution d’Anne Boleyn le 19 mai 1537, gravure de Jan Luyken (XVIIIème siècle)

A peine clos les beaux yeux bleu-nuit de l’infortunée reine, alors que le canon annonce au peuple londonien la terrible nouvelle qui le remplit de joie, Henry VIII s’habille de blanc. Il épouse Jeanne Seymour quelques jours après. Devant l’Histoire il devient ainsi l’incarnation de Barbe-bleue.

 

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