Après avoir triomphé dans Manon de Massenet à Bastille en 2020 et dans Robert Le Diable à Bordeaux en 2021, Amina Edris s’apprête à prendre le rôle de Violetta à l’Opéra de Limoges du 6 au 12 février prochains. La jeune soprano égyptienne, nommée parmi nos étoiles montantes de l’année 2021, revient sur le personnage de Violetta, son parcours de cantatrice et ses nombreux projets à venir.
Vous effectuez pour l’Opéra de Limoges votre prise de rôle en Violetta dans La Traviata. Comment est-ce qu’on aborde un tel rôle ?
C’est évidemment un défi vocal et dramatique. J’ai commencé par lire l’autobiographie de Marie Duplessis et le roman d’Alexandre Dumas fils, La Dame aux camélias. S’en est bien sûr suivi un travail sans relâche de la partition avec mes professeurs et coach pour affronter les difficultés extrêmement périlleuses de la partition, tant à jouer qu’à chanter. On le sait, l’originalité du rôle est qu’il nécessite trois voix de soprano différentes, mobilisant tour à tour la voix colorature, dramatique au second acte et enfin lyrique au dernier acte. Pour faire face à un tel challenge, j’ai tâché de tracer mon propre sillon dans la partition, de me détacher des interprétations passées afin de faire confiance à ma voix pour trouver ma Violetta. Tout du long, mon objectif était de parvenir au juste équilibre entre technique vocale, jeu dramatique et émotions, afin que jamais l’un de ne l’emporte sur les autres. Violetta est un personnage si fort au plan théâtral que le risque de se jeter à corps perdu dans le drame est réel !
Est-ce que votre vision du personnage correspondait à celle de Chloé Lechat, la metteure en scène de cette nouvelle production à l’Opéra de Limoges, ou avez-vous construit ensemble une interprétation commune ?
Il est vrai qu’on arrive avant une production, en tant que chanteuse et actrice, avec une première vision du personnage, mais qui évolue nécessairement au contact d’une mise en scène. Chloé Lechat, en l’occurrence, apporte une conception très originale du rôle en ayant fait de Violetta un personnage féministe qui vit à notre époque. Nous avons ainsi construit ensemble le parcours et l’état d’esprit du personnage que l’on s’est efforcée de regarder avec un regard neuf, voire contemporain, d’ailleurs. Mais je n’en dis pas plus pour vous laisser découvrir les surprises de cette nouvelle production !
Vous avez triomphé dans Manon à l’Opéra Bastille en 2020, en Alice dans Robert Le Diable à Bordeaux en 2021 et avez jusqu’ici particulièrement privilégié le répertoire français, de Rameau à Bizet. Quel est votre rôle ou compositeur français de prédilection ?
Manon et Massenet, sans hésitation ! Bien sûr, j’affectionne tous les rôles que j’ai chantés, mais il est vrai que le rôle de Manon regorge d’airs magnifiques et permet d’incarner un personnage particulièrement complet au plan dramatique. La trajectoire de Manon, les différents états émotionnels qu’elle traverse – l’amour, l’ambition, le regret ….-, ses métamorphoses au fil des actes, les décisions qu’elle prend et leurs conséquences en font un défi théâtral passionnant. Au fond, je dirais que les rôles qui me plaisent sont ceux qui permettent d’être autant actrice que chanteuse… Thaïs, puisqu’on parle de Massenet, serait d’ailleurs un rêve !
Alors que vous prenez le rôle de Violetta, vous nous aviez confié que vous aimeriez vous diriger aussi vers Mimi. Êtes-vous en train de donner une coloration plus italienne à votre carrière ? Comment choisissez-vous vos rôles, d’ailleurs ?
En italien, ce sont les rôles de Bel Canto qui me plaisent particulièrement à ce stade et si j’ai vraiment une connexion particulière avec la musique et la langue françaises, j’aborde chaque rôle pour lui-même. Que puis-je apporter en terme d’interprétation, quels défis vocaux et dramatiques sont à relever, … Ce sont ces questions-là que je me pose, plus que l’aire géographique ou la période ! Bien sûr, je veille aussi à prendre des rôles à ma mesure à ce stade de ma carrière et qui correspondent à ma voix telle qu’elle se présente aujourd’hui.
Justement, votre voix, comment est-ce que vous la définissez à l’heure actuelle ?
Question difficile, mais passionnante ! À vrai dire, quand j’ai commencé à chanter, alors que j’étais étudiante en Nouvelle-Zélande, elle semblait s’approcher d’une voix colorature. Mais à mesure que ma technique se développait et s’approfondissait, et les années passant, c’est incroyable de voir à quel point elle a pris une toute autre tournure, que certains peuvent éventuellement qualifier de lyrique. Mais cela n’a pas vraiment de sens de poser un qualificatif définitif sur une voix, qui recèle de tant de couleurs et de nuances uniques en leur genre et, qui plus est, peut toujours évoluer !
Et vos projets pour les mois à venir ?
Juste après Violetta, je chanterai Juliette, avec Pene Pati en Roméo, à San Diego, suivie d’une autre Violetta au Canada et de la Folie, dans Platée de Rameau à Paris, que je partage Julie Fuchs. Enfin, je peux vous dire que plus de Massenet à est venir et qu’une Marguerite, de Faust, m’attend tout prochainement !
Propos recueillis le 31 janvier 2022.