Ramon Vargas est le remplaçant de luxe de Jonas Kaufmann pour la série de représentations des Contes d’Hoffmann à la Bastille qui débute le 3 novembre. L’occasion rêvée de réentendre à l’Opéra de Paris le ténor mexicain qui n’y avait pas été réinvité depuis Un ballo in maschera en 2009 ! L’occasion également d’évoquer ce chanteur unique qui ne semble pas avoir – tout du moins en France – une reconnaissance à la hauteur de son talent.
Quel est le secret de la longévité et de la versatilité vocale de Ramon Vargas ? Peu de chanteurs de sa génération (il a 56 ans) peuvent se targuer d’une telle santé vocale : depuis ses débuts au Metropolitan Opera en 1992 dans Lucia di Lammermoor en Edgardo (en remplacement de Luciano Pavarotti), le ténor mexicain est toujours à l’affiche des plus grandes salles d’opéra du monde, et ce dans des répertoires très éclectiques, incluant aussi bien Mozart que Donizetti, Massenet, Offenbach, Verdi ou Puccini. Son remplacement de Jonas Kaufmann en est un parfaite illustration : pour venir chanter Hoffmann à Paris, il a ainsi dû être libéré de ses engagements auprès du Metropolitan Opera où il devait chanter Don Ottavio dans Don Giovanni.
Un des secrets est sûrement la prudence, un parcours progressif, qui n’a jamais brûlé les étapes. Jeune chanteur, il décide ainsi de se perfectionner dans une troupe, au Staatsoper de Vienne et à Lucerne, ce qui lui permet d’aborder et de roder de nombreux rôles sur scène. Il met également à profit sa voix légère et souple pour parcourir les partitions de Rossini, avec l’appui de son mentor, Rodolfo Celetti. Il reste de nombreuses traces de ces année rossiniennes, notamment un album enregistré en 1991 chez Claves, un Barbiere di Siviglia (« Cessa di piu resistere » inclus) chez Naxos en 1992, un Turco in Italia en studio avec Cecilia Bartoli, ou encore la captation vidéo au Metropolitan Opera de La Cenerentola avec la même Bartoli. Pourtant s’il a bien des qualités à faire valoir dans ce répertoire, une émission haute et claire, un sens du style, il lui manque ce quelque chose qui fait un ténor rossinien d’exception, une folie dans les variations ou un suraigu encore plus libre.
Il gardera cependant toutes les qualités techniques acquises chez Rossini en abordant des répertoires plus lourds, français (Massenet), puis italien plus tardif (Donizetti, puis Verdi et enfin Puccini). Ramon Vargas fait ainsi évoluer prudemment son répertoire, sans dépasser les limites de sa voix de ténor lyrique : il n’est jamais allé au-delà des rôles verdiens de la maturité (Manrico ou Don Carlo) et chez Puccini, il se contente de Rodolfo dans La bohême avec de rares excursions du côté de Caravadossi. Cette prudence lui a permis de garder une fraicheur et une souplesse vocales que bien des collègues plus jeunes peuvent lui envier.
On aurait pu attendre d’un ténor né sous les cieux azurs du Mexique un timbre éclatant de soleil. Pourtant, au-delà de cette lumière, réelle, l’écoute de Ramon Vargas fait ressortir un léger halo, qui nimbe cet éclat d’une douceur, d’une mélancolie, conjuguée à un sens de la ligne, une élégance jamais démentie, qui n’excluent cependant pas une intensité et un investissement dramatique constants. Ces qualités combinées font que le ténor brille dans les personnages romantiques, désenchantés ou torturés, Werther, Fernand de La favorite ou Lenski d’Eugène Onéguine.
Comment expliquer alors que Ramon Vargas n’ait jamais atteint la notoriété grand public d’autres ténors, tels Roberto Alagna, Rolando Villazon, ou encore Jonas Kaufmann ?
Il convient de noter que sa renommée est plus développée à l’étranger, aux Etats Unis (il est invité tous les ans au MET), en Autriche ou en Allemagne où il est abonné aux concerts glamours (par exemple le gala à Baden Baden avec Anna Netrebko, Elina Garanca et Ludovic Tézier, capté et publié par Deutsche Grammophon).
Une des raisons pourrait être le physique, le chanteur mexicain étant moins « télégénique » que les ténors pré-cités. Une autre est peut être purement marketing. Pour exister médiatiquement il faut aujourd’hui avoir une maison de disques derrière soi. Ramon Vargas a ici joué de malchance. Il était le ténor phare du label BMG (RCA Red Seal), enregistrant ainsi dès 1999 un beau récital L’Amour, l’amour (qui inclut notamment ses premiers rôles français, Roméo, Werther, des Grieux) puis un récital Verdi mariant intelligemment tubes et airs plus rares. Ce dernier est une grande réussite (en particulier, les Verdi de jeunesse sont d’une ardeur et d’un éclat éblouissants), qui tient sa place sans rougir au côté des récitals d’airs pour ténors de Verdi par Carlo Bergonzi ou Placido Domingo.
Pendant cette période, sa maison de disques lui fait également enregistrer des intégrales qui comptent encore aujourd’hui, avec l’autre star du label, Vesselina Kasarova : il enchaine ainsi Tancredi en 1996, I Capuletti e i Montecchi en 1998, puis un Werther en 1999 qui figure encore au sommet de la discographie de l’œuvre et surtout La favorite en 2000, chantée en version originale française, qui reste une référence unique (Sony vient d’ailleurs de la rééditer). On retrouve en particulier dans ces deux derniers enregistrements en plus d’une vraie symbiose avec sa partenaire, une diction française précise, et surtout l’urgence dramatique combinée à cette lumière si reconnaissable du timbre qui donnent un relief unique à ces personnages. Puis la fusion en 2004 de BMG dans Sony sonne la fin de cette belle série : il y aura bien des captations en live de concert ou d’opéra (dont un Eugène Onéguine superbe au MET avec Renée Fleming et Dmitri Hvorostovsky) et plus récemment des albums solo sortis un peu en catimini chez Capriccio, mais plus d’enregistrement marquant.
Réjouissons-nous donc de pouvoir entendre Ramon Vargas dès fin octobre à Paris, dans un répertoire qui lui convient si bien, puis plus tard dans la saison, en avril 2017 dans La Fille de neige de Nikolaï Rimski-Korsakov.
Discographie choisie
Opéras
- Zaira, Bellini. Nuova Era, 1993
- Il barbiere di Siviglia, Naxos, 1994
- Tancredi, Rossini. RCA, 1996
- I Capuleti e i Montecchi, Bellini. RCA Red Seal, 1998
- Il Turco in Italia, Rossini. Decca, 1998
- Maometto II, Rossini. BMG Ricordi, 1999
- Werther, Massenet. RCA, 1999
- La favorite, Donizetti. RCA, 2000
- Alzira, Verdi. Philips, 2001
Récitals
- L’amour, l’amour. RCA, 1999
- Rossini & Donizetti Opera Arias. Claves Records, 2000
- México Lindo. BMG Classics, 2000 (Popular Mexican songs)
- Verdi Arias. RCA, 2001
- Nel Mio Cuore. RCA, 2003 (Arie Antiche)
- Between Friends. RCA, 2004
- The Opera Gala Live from Baden-Baden. Deutsche Grammophon, 2008
- Opera Arias , Capricccio, 2013
- Verdi Lieder, Capriccio, 2014
Vidéos
- Idomeneo, Mozart, Decca, 2007
- Don Carlos, Verdi, TDK, 2007
- La Bohème (Live from the Met), Puccini, EMI, 2008
- La Traviata, Verdi, Arthaus, 2008
- Eugène Onéguine (Live from the Met), Tchaikovsky, Decca, 2008