Chanter au delà de la limite de péremption est hélas courant et nous ne reviendrons pas une fois de plus sur le cas d’Edita Gruberová déjà abordé dans nos articles.
© Wikipedia
L’histoire de Magda Olivero est proprement extraordinaire. Née en 1910 à Saluzzo (près de Turin), Olivero passe une audition à la RAI… de Turin pour le chef d’orchestre Ugo Tansini, dont le jugement est sans appel : « Elle n’a ni voix, ni musicalité, ni personnalité. Elle devrait s’orienter vers une autre profession ». Elle débute néanmoins en 1932 à ladite RAI de Turin, avec un oratorio de Nino Cattozzo, I Misteri Dolorosi. En 1933, Lauretta de Gianni Schicchi marque ses débuts scéniques et elle est remarquée par le chef d’orchestre Tullio Serafin qui lui fait chanter du belcanto : Lucia di Lammermoor, L’Elisir d’Amore, La Sonnambula. Olivero se spécialise toutefois rapidement dans le répertoire vériste (d’ailleurs, elle chantera essentiellement des oeuvres de compositeurs qui furent à un moment donné ses contemporains). La célébrité vient rapidement dans toute l’Italie, au point qu’en 1938 elle est choisie pour incarner Liù dans le tout premier enregistrement intégral, en 78 tours, de Turandot, aux côtés de la française Gina Cigna (de son vrai nom Geneviève Cigna, connue aussi comme Ginette Sens) et du ténor italien Francesco Merli, l’orchestre de la RAI de Turin étant dirigé par Franco Ghione. Olivero enregistre quelques 78 tours mais pas d’autre intégrale. Elle chante jusqu’en 1941, et se retire de la scène une fois mariée. Elle ne chante qu’occasionnellement dans des concerts de charité pendant la guerre. Ne pouvant avoir d’enfants, elle revient sur scène 10 ans plus tard, à la demande du compositeur Franco Cilea pour qui elle accepte de reprendre Adriana Lecouvreur en 1951 à Brescia. Malheureusement, Cilea décède entre temps. Il s’agit là d’une scène très secondaire, mais Olivero va connaitre une nouvelle célébrité en remplaçant Renata Tebaldi au pied de levé en 1959 à Naples dans Adriana Lecouvreur. Elle chante alors un peu partout dans le monde, parfois dans des endroits bizarres, rarement sur des grandes scènes internationales : Iris, Fedora (objet de sa seconde intégrale commerciale, pour Decca, avec Mario Del Monaco et Tito Gobbi), Tosca, La Bohème, La Fanciulla del West, La Traviata (avec mi bémol…), La Wally, Madama Butterfly, Manon Lescaut, Mefistofele, Turandot (Liù), Francesca da Rimini (enregistré pour Decca en 1969, avec Mario Del Monaco, mais sous forme d’extraits uniquement)… C’est toute l’ancienne école vériste qui renaît après cette éclipse. Elle interprète aussi la Manon de Massenet. Elle crée La Guerra (de Rosselini) et la version italienne de La Voix Humaine. En 1968, elle triomphe dans la version italienne de Médée à Dallas, où elle reviendra pour Fedora, Il Tabarro, La Voix Humaine (en français cette fois) et Tosca en 1974. Elle fait finalement ses débuts au Met en 1975, dans ce même ouvrage, à l’âge de 65 ans ! Elle remplace Birgit Nilsson. C’est un délire dès son entrée (et pas seulement). Elle chantera au total 10 représentations de Tosca au Met, la dernière en 1979, parfois interrompue en plein milieu du spectacle par un public fasciné par son interprétation… Elle interprète une dernière fois sur scène en 1981 : La Voix Humaine, à Vérone. Elle aura eu pour partenaires quelques uns des plus grands chanteurs d’avant et d’après guerre : Tito Schipa, Beniamino Gigli, puis Plácido Domingo, James King, Richard Tucker, Luciano Pavarotti, Franco Corelli, Giulietta Simionato, Giuseppe di Stefano, Mario del Monaco ou Ettore Bastianini,…
Mais Magda ne s’arrête pas : en 1993, elle chante de larges extraits d’Adriana Lecouvreur, accompagnée au piano, dans l’auditorium du siège de l’association des Amici del Loggione del Teatro alla Scala (et non pas à la Scala elle-même comme on l’écrit parfois). 53 années se sont écoulées depuis ses débuts dans le rôle en 1940. Et c’est sublime. En 1996, elle interprète le monologue d’Adriana pour le film de Jan Schmidt-Garre, Opera Fanatic ou lors de ces ultimes récitals. En 2002, elle chante le Panis angelicus de César Franck en hommage à Maria Callas.
Tant que ses forces le lui permetteront, Olivero chantera également à l’occasion de la Fête de l’Assomption de Marie, le 15 août. En 2010, à l’occasion d’une interview à Zenit pours ses 100 ans, elle explique : « J’ai toujours eu une grande dévotion envers la Madone (…) J’ai accompagné le pélerinage de malades à Lourdes. C’était comme mes enfants. Le Seigneur n’a pas voulu me donner de fils, mais il m’a fait la mère de tant de malades, et je leur ai voulu du bien comme à mes propres enfants. Un jour d’août 1966, j’étais au Grand Hotel de Solda, une station de ski à quasiment 2000 mètres (…). J’entendis des personnes discuter avec animation. J’en connaissais certaines. Ils étaient préocuppés car ils devaient rassembler de l’argent pour une œuvre de l’église et ne savaient comment faire. Je me suis approché, et j’ai dit « Si je peux être utile je le serai volontiers ». Ils me connaissaient : « Si vous voulez bien, vous pouvez chanter pendant la messe puis faire la quête » (…) Il y avait une majorité de touristes. Je ne me souviens plus combien on a récolté, mais c’était une somme incroyable ». La chanteuse est alors revenue chaque année pour chanter à la messe du 15 août, jusqu’à ses 98 ans en 2008.
Magda Olivero est décédée à l’âge de 104 ans : 3 ans de plus que sa collègue Gina Cigna.
(à suivre)