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Jean-Claude Malgoire, un portrait-souvenir

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Actualité
14 avril 2021
Jean-Claude Malgoire, un portrait-souvenir

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Pour ceux qui ont travaillé avec lui, il reste « Jean-Claude », et, à les entendre, ce double prénom porte son poids de truculence, d’érudition, de gourmandise, de curiosité inépuisable, d’effervescence, de chaleur humaine, d’accent d’Avignon…

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© D.R.

Le mot famille revient sans cesse aussi. Un petit clan (pas si petit que ça) de chanteurs, de musiciens, se vivant (du moins au début) comme des pionniers, un peu en marge, non conformes, explorateurs, défricheurs, à l’affût de nouveaux tempis, de nouveaux accents, de nouveaux sons, plus vifs, plus vrais, plus savoureux, grands réveilleurs de partitions endormies…
D’autres avaient lancé le mouvement, les Leonhardt, Kuijken, Brüggen, Harnoncourt, mais en France ils étaient les premiers et Jean-Claude Malgoire allait refaire le parcours à sa manière, en autodidacte.

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La scène fondatrice

Il évoqua un jour le « détonateur » qu’avait été pour lui le livre d’Antoine Geoffroy-Dechaume, Les Secrets de la musique ancienne (1964, Fasquelle) « magnifiquement écrit pour les non-initiés que nous étions tous » et inspiré du traité fondamental d’Arnold Dolmetsch How to perform Ancient Music (1919) et il racontait une scène fondatrice : un jour de 1964 ou 65 où il répétait le Messie au Festival d’Aix « avec un chef dont je ne me rappelle pas le nom, et qui ne le mérite pas », Malgoire se leva, pour aller mettre sous les yeux dudit chef le chapitre How to play Messiah’s Ouverture avec les exemples… « et je lui ai dit, vous voyez, Monsieur, c’est comme ça qu’il faut jouer l’ouverture… Il m’a dit : mais vous êtes fou ! Parce que c’était le contraire de ce qu’il était en train de jouer ».

En 1966, alors qu’il était encore hautbois solo de la Société des Concerts du Conservatoire (avant d’être le cor anglais de l’Orchestre de Paris de Charles Münch), Malgoire allait fonder la Grande Ecurie et la Chambre du Roy, appellation empruntée à Philidor, mêlant les vents et les cordes.
Un premier disque Lully et Campra chez CBS allait inaugurer une carrière discographique florissante, et, dès 1970, Malgoire allait faire parler de lui grâce à une Water Music avec cordes en boyaux et cors naturels. Et, assez vite, être demandé en Angleterre, en Scandinavie, en Allemagne.

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Le saut dans le vide

En 1974, après plus de vingt ans de répertoire symphonique, il allait quitter l’Orchestre de Paris, un « saut dans le vide » : « Je me suis dit que la Grande Ecurie, ç’allait être la liberté ! »
On l’engage alors pour diriger Tancrède de Campra à Copenhague, Le Couronnement de Poppée à Drottningholm et Covent Garden. C’est manière de faire ses classes à l’opéra. Durant les années soixante-dix, grâce au soutien de Georges Kadar, le directeur artistique de CBS France, ç’allait être un flot ininterrompu d’enregistrements glorieux, haendeliens notamment, inauguré en 1976, par un Rinaldo à la distribution de légende (Esswood, Watkinson, Cotrubas, Brett, Cold) qui marquera une date, pour le public et pour lui. Puis il allait être en 1974 le premier à enregistrer intégralement l’Alceste de Lully.

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L’effusion créatrice

Un jour, Philippe Beaussant entend Malgoire répéter justement cet Alceste à Saint-Maximin, et il racontera cette « minute éblouissante » où Lully lui « sauta au visage » :

« Cet après-midi-là, c’était bien d’exploration et d’invention qu’il s’agissait. Il y a des musiques belles et froides. La sienne a d’autant plus de chances d’être bonne qu’elle se fait dans une sorte d’effusion chaleureuse et proprement créatrice. Il garde toujours quelque chose de l’improvisateur qu’il est. De sorte que s’il nous laisse parfois en deçà de la délectation que savent distiller les musiciens froids, il y a toujours avec lui un moment où le flux de l’œuvre l’emporte, où la grâce passe, où le miracle se produit et où l’émotion agit : et dans ces moments-là, Malgoire entraîne sa musique et la fait voler bien au-dessus des musiques froides. »

Le flux de l’œuvre, la grâce, l’émotion, tout est dit.


© D.R.

Les vraies couleurs sonores

« Je prétends avoir joué la musique de dix siècles, du XIe au XXIe siècle ! » Jamais il ne s’enfermera dans aucun répertoire. On le verra même diriger Couperin ou Rameau avec des orchestres symphoniques ! « Ça ne me dérange pas », mais ce qui l’intéressera toujours, ce sera  la recherche de l’esprit et des couleurs sonores de l’époque, quelle qu’elle soit, Grand Siècle ou XIXie. Et on le verra diriger un étonnant Tannhaüser avec les instruments du temps.

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Esprit éclectique, curieux de découvertes, « défenseur de la veuve et de l’orphelin » (dit-il), il redonnera vie, en précurseur, à d’innombrables compositions endormies.
Notamment, quand, prenant  un chemin de traverse, cet homme du Midi partira pour le Nord où il créera à Tourcoing dès 1981, sur le modèle de l’Atelier Lyrique de Pierre Barat à Colmar, une manière d’opéra alternatif, un opéra d’art et d’essai (il aimait beaucoup la formule). « L’idée, c’était de passer de la théorie à la pratique : au lieu d’enregistrer Alceste, j’allais jouer Alceste ! »

Un opéra d’art et essai

Un fringuant Couronnement de Poppée allait donner le ton de cette aventure : un metteur en scène complice (Jean-Louis Martinoty) et surtout de très jeunes chanteurs, Dominique Visse ou Isabelle Poulenard qui avaient vingt ans. Suivis de combien d’autres, Véronique Gens, Nicolas Rivenq, Stéphanie d’Oustrac, et jusqu’à Sabine Devieilhe ou Philippe Jarrousky…

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L’Atelier Lyrique de Tourcoing allait devenir une fabrique d’opéra, portée par l’esprit de troupe qu’aimait Malgoire (la famille dont on parlait plus haut) et la trilogie Mozart/Da Ponte créée en 1995 en serait la plus belle démonstration. « J’ai toujours été un rebelle, dès que je suis quelque part, je veux faire autre chose, il n’y a que l’Atelier Lyrique de Tourcoing qui m’ait fixé, parce que je peux faire ce que je veux, je peux aller de Machaut à Aperghis… »

Ne jamais se laisser enfermer, toucher à tout, varier les saveurs en cuisinier voluptueux qu’il était (voir sa recette du bœuf en daube…).
Gourmet et boulimique à la fois, Malgoire, c’est quelque 3000 concerts et plus de cent enregistrements (voir notre discographie non-exhaustive), et c’est une manière de faire de la musique, qui n’est qu’à lui.


© Philippe Huguen

 

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