Les baroqueux italiens ont pris le train en route – en sautant in extremis dans la dernière voiture, ajouteront les railleurs. L’image est sans doute plaisante mais surtout excessive, comme le montre avec éclat le retour, chez Newton Classics, des six livres de madrigaux de Gesualdo dans l’interprétation visionnaire du Quintetto Vocale Italiano. Du 10 janvier au 30 septembre 1965, Karla Schlean (soprano), Clara Foti (mezzo-soprano), Elena Mazzoni (contralto), Rodolfo Farolfi (ténor), Gastone Sarti (baryton) et Dmitri Nabokov (basse) multipliaient les sessions dans la villa Litti de Milan pour mieux révéler au monde incrédule l’un des plus grands laboratoires madrigalesques de tous les temps. Notez bien la date: 1965, Anthony Rooley ne fondera son Consort of Musicke que cinq plus tard, William Christie n’est pas encore diplômé de Yale, Rinaldo Alessandrini (Il Concerto Italiano) et Claudio Cavina (La Venexiana) usent leurs culottes sur les bancs de l’école, mais leurs aînés ont déjà tout compris et leur intégrale des madrigaux de Gesualdo demeure aujourd’hui encore une référence absolue. Injustement oubliés au même titre qu’Angelo Ephrikian qui assure la prise de son et avec lequel, à la même époque, certains dépoussiéraient Monteverdi (Newton Classics propose un coffret reprenant le neuvième livre de madrigaux et le lamento d’Arianna de Karla Schlean), nos pionniers de la musique baroque possèdent des voix superbement timbrées et malléables, instaurant un équilibre miraculeux entre la polyphonie et l’expression individuelle. Le Quintetto Vocale Italiano se fond dans l’univers maniériste et torturé du prince de Venosa et assume, sans chercher à se faire remarquer, les tournures de plus en plus fantasques qui caractérisent son écriture au fil des livres, exaltant ambiguïtés, ruptures, dissonances et chromatismes et plongeant toujours plus avant l’auditeur dans une atmosphère de rêve éveillé, traversée de fulgurances psychédéliques. Stravinsky considérait que l’histoire de la musique aurait suivi un autre cours si ses pairs avaient suivi Gesualdo, d’autres pensent qu’il s’était engagé dans une voie sans issue. Toujours est-il que son extase langoureuse et morbide ne laisse pas indemne. [BS]
C. Gesualdo. Madrigali a cinque voci (books 1-6). Quintetto Vocale Italiano. NEWTON CLASSICS 8802136 (6 CD)