Il n’est pas nécessaire de voir Rome ou Florence pour faire l’expérience du syndrome de Stendhal : l’écrasante, la suffocante beauté du VIIe livre de madrigaux de Monteverdi ne laisse pas davantage indemne. Sachons gré aux téméraires qui osent l’aborder in extenso et sans filet, dans la nudité du concert. D’une urbanité exemplaire ou en proie à une douce sidération tout au long de la soirée (l’un n’excluant pas l’autre), le public de la Cité de la Musique a longuement ovationné, le 28 mai dernier, les Arts Florissants qui poursuivent leur intégrale de l’œuvre madrigalesque du divin Claudio avec ce monument de la seconda prattica déjà donné à Caen, Anvers, Prague et Dresde. Si les rares pages polyphoniques lui réussissent particulièrement bien, notamment l’onirique quatuor « Al lume delle stelle » traversé d’un élan irrésistible, Paul Agnew, à la fois chef et chanteur sur cet ambitieux projet, semble parfois moins à l’aise avec l’écriture solistisante qui prévaut largement (16 duos et 4 pièces à voix seule sur les 29 qui composent le recueil) et n’en assume pas toujours la dimension théâtrale. D’emblée, son « Tempro la cetra » manque d’énergie déclamatoire et ses traits virtuoses sont à peine effleurés, mais cette retenue n’est rien en regard du « Con che soavità » sans chair ni passion de Miriam Allan, soprano éthéré à la Kirkby (celui de Mhairi Lawson, d’essence plus lyrique, est, hélas, relégué au second plan), qui nous ramène au Monteverdi trop policé et distancié du Consort of Musicke d’Anthony Rooley au sein duquel officiait Paul Agnew il y a trente ans. Privé de tension et murmuré comme dans un rêve éveillé, « Interrote speranze » nous laisse également perplexe mais reste fort heureusement une exception parmi les huit duos qui réunissent, tels Ulysse et Télémaque, le ténor aux couleurs automnales et son fringant cadet, Zachary Wilder, l’émotion culminant dans le si versatile « Non vedrò mai le stelle ». Applaudi in loco début mai dans Le Désert de Félicien David, ce ténor aigu est le héros du jour, habitant avec une intensité peu commune la « Partenza amorosa » puis rivalisant d’esprit avec Lucille Richardot dans « Vorrei baciarti », confié à un ténor et à un contralto et non à deux voix égales (alti) – mais qu’importe le flacon, pourvu qu’on ait l’ivresse ! Lucille Richardot offre de la « Lettera amorosa » une lecture plus subtile et allusive qu’exaltée, mais en parfaite osmose avec l’archiluth ensorcelé et ensorcelant de Thomas Dunford. Autres moments forts, le trio « Parlo, misero, o taccio ? » et le duo « S’el vostro cor, madonna » (basse/ténor) dont Lisandro Abadie et Paul Agnew exaltent le dramatisme et les savants chromatismes.
Monteverdi, Intégrale des madrigaux: Septième Livre. Les Arts Florissants. Cité de la Musique, 28 mai 2014.