« Noir, c’est noir » assène le jeune Verdi dans I due Foscari, un de ses premiers opéras, à l’affiche de Covent Garden jusqu’au 2 novembre. La représentation d’hier, lundi 27 octobre était retransmise dans plusieurs cinémas en France et ailleurs. A Paris, avenue des Champs-Elysées, le moins qu’on puisse dire est que l’événement n’a pas fait courir les foules : salle à moitié vide et public génération Domingo. L’ex-ténor interprète le rôle du père dans cette œuvre sans espoir et sans histoire. Accusé injustement de trahison, son rejeton passe trois actes à clamer son innocence. En vain. Il sera finalement exilé sous le regard impuissant de l’épouse et du géniteur. L’absence de progression dramatique indispensable à toute œuvre lyrique a empêché I due Foscari de s’inscrire durablement au répertoire.
Londres aurait-il exhumé l’ouvrage si Placido Domingo ne trouvait en ce Foscari père, écartelé entre devoir et sentiments, un rôle à la mesure de sa reconversion vocale ? L’incroyable engagement dont fait preuve l’interprète ne suffit pas à convaincre du bien-fondé de la proposition. Que baryton et ténor se trouvent confrontés, comme dans le trio du 2e acte, et la complémentarité sonore en prend un coup. Les notes sont là mais pas la couleur, cette teinte sombre qui est aussi celle de la mise en scène imaginée par Thaddeus Strassberger. La scène de foule au 3e acte, les costumes écarlates des dignitaires vénitiens se chargent d’éclaircir sporadiquement la pénombre. La folie matricide de Lucrezia, non prévue par le livret, achève d’arroser d’encre, de sang et de larmes la tragédie. Maria Agresta trace d’un trait plus belcantiste que dramatique le portrait au vitriol de cette épouse, belle-fille et mère éprise de justice. Salué par l’applaudimètre, son époux Francesco Meli use d’un art consommé de la demi-teinte avec un souci de la ligne qui faisait défaut à ses Carlo et Manrico salzbourgeois. L’héroïsme n’est pas la caractéristique première de Jacopo, son chant ne s’en porte que mieux.
Durant l’entracte, Antonio Pappano donne, piano à l’appui, quelques clés pour mieux comprendre cette partition méconnue. Si instructif soit le discours, sa direction reste la meilleure des démonstrations, d’autant que le dispositif sonore du cinéma Publicis, privé de relief, favorise l’orchestre au détriment des voix. Prochaine retransmission d’un spectacle en direct du Royal Opera House : L’elisir d’amore avec Vittorio Grigolo et Bryn Terfel le 26 novembre (plus d’informations).