Enregistrer des disques apparaît désormais comme un impératif catégorique pour les jeunes chanteurs. Puisqu’ils ont une voix qui leur permet un brillant début de carrière, ils doivent graver un récital d’une durée minimale d’une heure, afin d’exister par-delà leur présence sur les scènes nationales et internationales. Et puisqu’ils doivent le faire, il leur appartient d’en être capable. Malheureusement, les choses ne sont pas aussi simples, et il ne suffit pas d’avoir connu de beaux succès sur les planches ou au concert pour réussir un disque, surtout un premier disque.
Marianne Crebassa est une mezzo française que l’on suit avec une certaine admiration depuis quelques années. Impressionnante lorsqu’elle faisait ses – quasi – premières armes en 2010 dans Wuthering Heights de Bernard Herrmann à Montpellier (elle y avait tenu un petit rôle dès 2008 dans la Fedra de Pizzetti), brillant sujet de l’Atelier lyrique de l’Opéra de Paris, où elle avait reçu le Prix de l’AROP et campé un farouche Ramiro de La finta giardiniera, elle fut très vite propulsée sous le feu des projecteurs : une présence régulière à Salzbourg, en 2013 pour un Lucio Silla repris à La Scala deux ans après, en 2014 pour la création mondiale de Charlotte Salomon, de Marc-André Dalbavie, des Chérubin un peu partout, à Vienne, à Amsterdam ou à Milan, et bientôt le rôle-titre de Fantasio pour la saison 2017 de l’Opéra-Comique, œuvre interprétée cet été lors du festival de Montpellier. Bref, le disque apparaît presque déjà comme une consécration après ce départ sur les chapeaux de roues. Marianne Crebassa devait faire un disque, mais le pouvait-elle tout à fait ?
Elle le pouvait sans doute grâce à un timbre somptueux, avec des couleurs qui rappellent parfois Berganza, parfois Frederica von Stade, avec une agilité rodée par le Mozart serio. Guidée par la baguette bienveillante de Marc Minkowski, qui l’a dirigée dans Lucio Silla et dans Davidde penitente, la chanteuse a pu concocter un programme entièrement consacré aux « rôles en pantalon », ou même sans pantalon puisqu’il inclut une rareté aussi absolue qu’un air d’Eros dans Psyché d’Ambroise Thomas. Ambitieux, le programme mêle beaucoup de Mozart, surtout des arias dramatiques à part les deux airs de Chérubin, à un bel échantillonnage d’extraits d’opéras(-comiques) français, de Gluck à Reynaldo Hahn. On y entend des choses que Marianne Crebassa chantera sans doute un jour mais qu’il serait peut-être encore un peu prématuré d’aborder, à côté de rôles qui appartiennent d’ores et déjà à son répertoire. Autrement dit, pour l’artiste, du connu, du rôdé en scène ou au concert, et de l’inconnu, du pas encore pratiqué. Est-ce à cause de ce manque de familiarité, est-ce la froideur des studios, toujours est-il que ce beau programme est terriblement dépourvu de vie : les airs s’enchaînent sans jamais décoller, sauf ici ou là, notamment pour Chérubin ou Ramiro. La faute à un investissement dramatique insuffisant, ou du moins trop superficiel, trop conventionnel. La faute aussi à une diction qu’on voudrait plus incisive : le répertoire français exige plus de mots, et le beau son ne saurait y remplacer l’intelligence du texte. Marianne Crebassa peut être plus attentive à ces composantes, donc elle devra l’être. Elle peut devenir une très grande artiste, donc elle se doit de tenir ses promesses, elle nous le doit.