Née en 1929, June Bronhill est une de ces nombreuses voix australiennes presque totalement inconnues dans notre hémisphère. Fort heureusement, depuis quelques années, sous l’impulsion du chef d’orchestre et producteur Brian Castles-Onion, plusieurs compilations tirées d’archives ou d’enregistrements privés ont été réalisées par Désirée Records : Nance Grant, Robert Allman, sans compter un Joan Sutherland complètement inédit. La carrière de Bronhill s’étale sur plus de quarante ans durant lesquels elle aura défendu à la fois l’opéra, l’opérette et la comédie musicale où son abattage faisait parait-il merveille. La voix est au départ celle d’un soprano léger au timbre clair, mais elle évoluera au fil de années, la soubrette des débuts laissant éclore un lyrique plus corsé. Au début de sa carrière, dans les années 50, Bronhill aborde des rôles aigus qui ne mettent pas nécessairement en valeur son timbre, un peu trop blanc dans le registre supérieur, et le style est encore un peu vieillot. Dans cette période, notre préférence va vers les extraits de Manon (l’air du Cours la Reine) ou la délicieuse mélodie « Birds songs at Eventide » de Coates. Toutefois, ces premiers extraits nous permettent d’entendre de rares pages (en anglais) de la Martha de Flotow ou de La Serva Padrona de Pergolese, dans lesquelles le soprano triomphe sans effort des difficultés techniques de la partition. Les extraits de sa Norina de Don Pasquale de Donizetti, du Telephone et de la Saint of Bleeker Street de Menotti (deux ouvrages qu’on aimerait connaître en intégralité dans cette interprétation) nous permettent de comprendre l’impact théâtral de la chanteuse, parfaitement à l’aise tant dans la comédie que dans le drame.
Dans les extraits de Die Entführung aus dem Serail de Mozart, la voix a gagné en maturité et sa remarquable interprétation réussi à nous faire oublier la langue anglaise. Il en va de même de sa Maria Stuarda de Donizetti, aux variations impressionnantes et donnée dans une interprétation d’une électricité rare. Là encore, on aimerait entendre la version intégrale. Le duo de La Bohème, l’Air des bijoux de Faust, le grand air de La Traviata, Oscar du Ballo in Maschera, Gilda de Rigoletto, Magda de La Rondine … on est impressionné par le caractère extrêmement versatile du soprano, capable de rendre justice à des répertoires extrêmement différents et chaque fois avec la même intégrité (à la réserve près que tous ces rôles n’ont pas nécessairement été interprétés sur scène intégralement, notamment La Traviata et La Bohème). Nous pouvons même entendre son audition à Covent Garden avec La Fille du Régiment en italien. Par ailleurs, certaines de ces pages sont ici offertes en langue originale.
Signalons que, comme toujours dans cette collection, l’album comporte quelques extraits de qualité sonore malheureusement très médiocre et surtout destinés à balayer la carrière de la manière la plus exhaustive possible. Par exemple, le « Saper vorreste » du Ballo in maschera est un peu lointain mais il nous permet d’entendre Bronhill au piano en 1976 dans un rôle qu’elle chanta intégralement 25 ans plus tôt, et dans une version avec variations et coloratures particulièrement jouissive ! L’album propose également des extraits d’opéras-comiques (en anglais encore) : Orphée aux Enfers, Die lustige Witwe (encore un son « difficile » …) et Das Land des Lächelns. En 1991, nous retrouvons Bronhill dans le petit rôle de la Baronne dans une production amateur de La Vie Parisienne : à 60 ans passés, la chanteuse se tire de ce rôle trop grave pour elle … avec un contre-ré conclusif.
Nous glissons ensuite vers l’opérette britannique avec The Mikado et HMS Pinafore, chefs d’œuvre de Gilbert & Sullivan trop peu connus en France, mais dont les extraits ne sont pas particulièrement captivants, en passant par l’inclassable Porgy and Bess de George Gershwin pour le duo « Bess, you is my woman now » aux côtés de l’étonnant Geoffrey Chard, baryton au timbre particulièrement sombre. La comédie musicale est représentée par de larges extraits de Robert and Elizabeth, créée à Londres en 1964 et jouée 948 avant d’être reprise en Australie. On retiendra en particulier une superbe interprétation du magnifique et encore un peu populaire « Soliloquy », de qualité quasi opératique, ou encore l’air « Woman and Man » couronné d’un spectaculaire contre-ré. La postérité n’a pas retenu en revanche King’s Rhapsody d’Ivor Novello, grand succès de l’après-guerre portée à l’écran en 1955, Errol Flynn reprenant le rôle créé par Novello lui-même. L’album se termine opportunément par la mélancolique mélodie « At the end of the day » de Donald O’Keefe. A la fin de son parcours, June Bronhill pouvait effectivement être fière de sa carrière.