La tournée est lancée, la machine médiatique est en marche, et il ne serait que trop facile de reprocher à Joyce DiDonato une démarche surfant un peu trop sur une vague d’émotion temporaire. Derrière le disque In War & Peace, il y a pourtant bien, semble-t-il, une sincérité toute américaine, qui a poussé la chanteuse à infléchir le programme auquel elle réfléchissait déjà avant le 13 novembre 2015. Même si le boîtier nous montre la Yankee Diva en robe Vivienne Westwood, le visage et la poitrine constellés de paillettes, le disque nous permet, mieux sans doute que le concert, de faire abstraction de tout le cirque people pour nous concentrer sur l’essentiel : la musique, qui est une fois de plus la grande gagnante de l’opération. On ne s’attardera pas trop non plus sur la thématique choisie ; la division en deux parties « tolstoïennes » aurait pu permettre d’éviter la très conventionnelle alternance systématique d’airs agités et d’airs sereins, mais parmi les morceaux tourmentés de la première moitié du disque se glissent plusieurs plages bien calmes, tandis que la deuxième partie, censément consacrée à l’apaisement, accueille des bouffées de joie pétaradante.
Trois inédits « seulement », cette fois. Contrairement à ces surprises et raretés qui faisaient tout le prix d’un disque comme Stella di Napoli, Joyce DiDonato ne fait pas reposer son récital sur les morceaux inconnus : un extrait d’Andromaca de Leonardo Leo (1742) et deux d’Attilio Regolo de Jommelli (1753), tout hérissés de vocalises. Tout le reste évolue en terres nettement plus familières, allant du très connu (le lamento de Didon, les airs de Rinaldo ou de Giulio Cesare) au moins fréquenté (Susanna de Haendel, Bonduca de Purcell).
Tout ce que l’on entend ici est très beau, l’artiste ayant l’intelligence de ne jamais s’égarer hors du répertoire qu’elle peut légitimement aborder au disque. A la scène, la verra-t-on jamais en Almirena ou en Cléopâtre ? C’est moins sûr, mais peu importe au fond, puisqu’elle parvient à incarner pour quelques instants ces personnages. Comme pour Diva/Divo jadis, elle campe aussi bien le guerrier fougueux que la pudique jouvencelle. Surtout, contrairement à tant d’artistes que glace l’absence de public, Joyce DiDonato parvient miraculeusement à donner un sentiment de vie, une impression de spontanéité à ces enregistrements de studio. La virtuosité est parfaitement maîtrisée, avec une ornementationt généreuse sans paraître gratuite (voir la reprise de l’air de Sesto, « Svegliatevi nel core »).
Côté instrumental, on admirera surtout la solide pugnacité que Maxim Emelyanychev sait communiquer à l’ensemble Il Pomo d’oro. Côté paix, les résultats sont moins immédiatement frappants, mais les oiseaux de l’air d’Almirena font preuve d’une vigueur étonnante dans leur gazouillis, avec en particulier une flûte qui vous nettoie un peu brutalement les oreilles. Purgé des ponctuations orchestrales superflues qui encombrent les concerts, le programme du disque se réduit à ce qu’il doit être : une démonstration de l’art de Joyce DiDonato, où quelques plages paraîtront dispensables (les Purcell à part Didon, par exemple), mais où l’on trouvera bien des pépites.