Qu’attend-on d’une soprano colorature ? Une mécanique parfaitement huilée, bien sûr, qui lui permette de s’élancer dans le vide comme une bonne trapéziste qui fait frémir par la désinvolture avec laquelle elle virevolte sous les hauteurs du chapiteau. Une certaine dose d’inconscience apparente, donc, mais aussi cet indispensable supplément qui distingue les plus grandes, qui montre qu’elles ne sont pas que des machines à vocalises. Ce petit plus est hélas bien rare, et il n’est pas sûr qu’il vienne avec l’expérience.
Qui est Regula Mühlemann ? Une jeune chanteuse originaire de Suisse alémanique qui, malgré d’occasionnelle incursions chez Rossini, s’est jusqu’ici surtout consacrée à Mozart, notamment avec le rôle de Papagena qu’elle tint à Aix-en-Provence ou à l’Opéra de Paris. Il semblait donc logique de placer sous les auspices de Wolfgang Amadeus le premier disque qu’elle enregistre en solo. Le programme en est d’ailleurs intelligemment conçu, avec une alternance d’airs de concert et d’opéra, en italien et en allemand. Pour l’opéra, qu’on ne s’attende pas à rencontrer la Reine de la nuit : à part L’Enlèvement au sérail et La Clémence de Titus, les titres les plus connus ont été soigneusement évités, ce qui dispense l’artiste de toute comparaison évidente avec de prestigieuses titulaires.
Qu’entend-on sur ce disque ? Une voix souple, qui atteint sans peine le suraigu, même si celui-ci n’est pas toujours des plus doux à l’oreille, et qui évolue avec agilité dans les pages les plus virtuoses. C’est bien, c’est beaucoup, mais ça ne suffit pas vraiment. Pas pour retenir durablement l’attention et rendre ce disque mémorable. Il manque ici l’expressivité qui ferait vivre un personnage derrière chaque air, faute de quoi les mécanismes tournent dans le vide. Regula Mühlemann devra impérativement apprendre à varier son chant, car pour le moment, en dehors de quelques accents de bouderie enfantine et de quelques notes graves où elle est presque obligée de parler, elle ne parvient guère à exprimer l’émotion qui est pourtant présente, même dans des airs destinés à mettre en valeur les gosiers les plus flexibles de leur temps. Ce défaut est encore plus net dans l’Exsultate, jubilate, comme si le latin et le caractère religieux de cette pièce dispensaient d’avance de tout souci d’avoir quelque chose à y dire.
Composé d’instruments modernes, le Kammerorchester Basel semble lui aussi un peu timoré, comme si la sagesse de la chanteuse interdisait toute prise de risque de sa part. Peut-être ce disque arrive-t-il simplement un peu trop tôt dans une carrière encore toute jeune.