Le goût profond d’Alain Duault pour l’opéra ne date pas d’aujourd’hui. Son dictionnaire du genre se devait d’être « amoureux ». Publié en 2012 par Plon, l’ouvrage se voit désormais proposé – avec le concours des Editions Gründ – en version illustrée. La date de parution – 17 novembre 2016 – en faisait un cadeau idéal à déposer le mois dernier au pied du sapin de tout amateur d’art lyrique et de beaux livres. Il n’est pas trop tôt pour penser à Noël prochain.
Les photos choisies pour illustrer la centaine d’entrées qui composent l’abécédaire sont de celles qu’adolescent, on aurait aimé punaiser sur les murs de sa chambre : June Anderson couronnée de lauriers, la bouche entrouverte, le regard omineux ; Placido Domingo en Samson enchainé ; Elisabeth Schwarzkopf happée par la contemplation de son reflet dans un miroir qu’elle tient élégamment d’une main baguée… L’image est parfois plus éloquente que les mots. Notre époque le sait mieux qu’une autre. C’est un livre que, pour un peu, l’on oublierait de lire tant on s’attarde à le regarder.
Pourtant Alain Duault possède d’indéniables talents de conteur. Puisqu’amoureuse, sa verve est inévitablement partiale : des chanteurs, des œuvres, quelques maisons d’opéra mais pas de compositeurs, pas de chef d’orchestre et pas de metteurs en scène ? Pas d’opéras baroques – ni L’Orfeo, ni Giulio Cesare, ni Alcina, ni Les Indes galantes… ? Trois Rossini buffe (Le Barbier de Séville, La Cenerentola, L’Italienne à Alger) et pas un seul seria, pas même Guillaume Tell ? Gioconda, Mefistofele, Les Vêpres siciliennes: était-ce vraiment indispensable, quelle que soit la (bonne) place qu’occupent ces deux œuvres dans notre panthéon personnel, lorsque manquent à l’appel La Damnation de Faust, Les Troyens, Les Huguenots, La Juive, Peter Grimes, Saint François d’Assise et tant d’autres plus emblématiques du genre aujourd’hui ? Ni Franco Corelli, ni Carlo Bergonzi, ni Leontyne Price mais Julie Fuchs déjà ? Etc.
Les choix d’Alain Duault peuvent être discutés, l’intérêt de son propos n’est pas discutable. Celui qui aujourd’hui anime deux émissions sur Radio Classique sait s’adresser aussi bien au mélomane averti qu’au profane curieux – première gageure de ce type d’ouvrage, destiné aussi au grand public. Une anecdote, un éclairage nouveau sur le sujet retiennent l’attention du premier sans que le second ne se sente exclu d’un monde qu’il aspire à découvrir. Inspiré, – l’œuvre poétique d’Alain Duault a été récompensée par le Grand Prix de poésie de l’Académie française en 2002 –, le style s’anime d’un lyrisme de circonstance dès qu’il s’agit de donner à comprendre sans entendre : le « timbre écorché, comme la plainte d’un animal blessé » par exemple de Jon Vickers.
On peut d’ailleurs entre amis se livrer à un jeu qui égayera les soirées d’hiver : deviner le nom de l’interprète caché derrière la description : « une voix exceptionnelle à la carnation souple, aux couleurs richement déployées avec un sens dramatique qui s’investit dans des phrasés amples et ardents » (Vous n’avez pas trouvé ? Il s’agit de « la plus grande star féminine du monde lyrique » actuel). Ou plus difficile : une « voix d’alcool fort, avec des vertiges profonds, des couleurs ambrées, une sensualité étonnante dans le timbre » (un petit effort : elle fut une des pionnières de la Rossini renaissance et chanta notamment Arsace dans Semiramide à Aix-en-Provence en 1980 aux côtés de Montserrat Caballe). Une dernière pour la route, fastoche : un « physique de jeune premier romantique » doublé d’une « voix de ténor au timbre corsé, ambré de chaudes couleurs barytonales et d’un sens ardent de l’expression dramatique » qui en font « la coqueluche des scènes internationales ». Un indice : le texte, vraisemblablement rédigé avant le mois de septembre dernier, mentionne un « Hoffmann à Paris en 2016 » qui n’eut jamais lieu.
Assez joué. « Suivez-moi dans ce parcours intime de l’opéra » invite Alain Duault en quatrième de couverture. L’invitation est de celle que l’on aurait tort de refuser.