C’était au printemps 1992, il y a tout juste un quart de siècle. Il était certes alors courageux d’imposer à Milan la version originale d’Iphigénie en Tauride, là même où Maria Callas avait laissé un souvenir impérissable dans la traduction de Lorenzo Da Ponte montée par Visconti en 1957. Pourtant, en dehors de la langue, bien peu de choses séparent l’interprétation proposée par Riccardo Muti de celle de Nino Sanzogno trente-cinq ans auparavant. Dans cet enregistrement aujourd’hui réédité par Sony, la tempête initiale fait un peu Walt Disney, en comparaison avec ce qu’ont su en tirer des chefs étiquetés baroqueux. Les Scythes réclament du sang comme les Janissaires de L’Enlèvement au sérail salueraient l’arrivée du pacha Sélim, sur une musique aussi gentiment exotique. Les ballets se situent à mi-chemin de la Marche de Radetzky de Johann Strauss père et d’un pastiche dix-huitiémiste comme a pu en composer Tchaïkovski, et l’on voit mal comment Oreste pourrait être tourmenté par d’aussi molles Euménides. Avec de tels choix orchestraux, Muti aurait peut-être mieux fait d’opter carrément pour la partition révisée par Richard Strauss en 1889, plus conforme à son esthétique. Cette façon de jouer Gluck fait désormais figure de curiosité et manque de tension dramatique, un comble pour une prise de son sur le vif, réalisée pendant diverses répétitions et représentations à La Scala (on entend des applaudissements à la fin des actes, mais aucun bruit de scène, toutefois).
Dans le rôle-titre, Carol Vaness en fait des tonnes et semble constamment pousser sa voix pour être entendue dans le vaste temple scaligère. Ses toutes premières interventions laissent apparaître quelques tiraillements dans l’aigu ; la soprano californienne n’avait alors que quarante ans, mais se consuma avant l’heure, peut-être à cause d’un engagement théâtral quasi excessif : elle était la même année une Elettra incendiaire à Bastille, mais sa carrière internationale ne dura ensuite guère plus d’une décennie. Giorgio Surian en Thoas a lui aussi tendance à surjouer, et lui aussi semble parfois en difficulté dans l’aigu. Même s’ils participent de l’emphase générale, Oreste et Pylade se défendent mieux. Leur français, celui de Thomas Allen surtout, est plus limpide que celui des deux autres personnages principaux. Le baryton anglais avait déjà enregistré le rôle en 1985, et sous la baguette de John Eliot Gardiner, et s’était donc frotté à de tout autres pratiques d’interprétation, plus proches du style français. De sa formation mozartienne Gösta Winbergh avait gardé une certaine vaillance déliée, mais Riccardo Muti lui impose à lui aussi de chanter à pleine voix pas un texte qu’il faudrait avant tout jouer. Au milieu de tous ces cris, de tout ce chant poids lourd qu’on désespère de voir s’alléger, une leçon de déclamation arrive in extremis, lorsque Sylvie Brunet vient dire les quelques phrases de Diane : cela ne dure qu’une minute trente, mais c’est presque aussi beau que le serait en 1999 l’intervention de Diane par Alexia Cousin dans la version Minkowski.