Alors que la reprise parisienne du Wozzeck d’Alban Berg approche à grands pas, plongeons-nous dans cet enregistrement Naxos réalisé à Houston lors d’une série de représentations en 2013. Et même si cette gravure ne nous contente qu’à moitié, l’amateur de grands interprètes y trouvera de quoi le satisfaire.
La première réussite de cette version tient dans le rôle titre. Roman Trekel s’empare brillamment de Wozzeck, son baryton corsé et puissant se prêtant volontiers aux sombres pensées de l’idiot utile. Quel luxe aussi d’avoir une diction toujours en place et une musicalité qui ne fait défaut à aucun moment, les deux réunies dans une seule et même voix. Le métal de l’aigu a beau déformer quelques voyelles, on ne peut rester insensible à cette interprétation marquée du fer rouge du déséquilibre mental de Wozzeck.
Anne Schwanewilms est une Marie déjà plus mitigée. La voix est ici aussi d’une rondeur (voire d’une noirceur) étonnante, et l’allemand ne souffre pas non plus de déformations mais, abus de grands rôles aidant, l’on décèle les signes d’une voix fatiguée dans les voyelles ouvertes ou dans les aigus. Heureusement, on sent que la chanteuse est aussi tragédienne, et la lecture de la Bible à l’ouverture du troisième acte ne laissera aucun auditeur de marbre.
Oublions rapidement le Capitaine de Marc Molomot, qui, non content de ne pas chanter les bonnes notes pendant deux tiers de l’opéra, ne semble pas avoir les épaules pour le rôle. Toute la quinte aiguë est en voix de fausset ou en glapissement, et l’allemand ne semble pas non plus être le point fort du ténor. Nathan Berg propose en revanche un Doktor plus intéressant. Si le rôle prend avec lui des allures parfois un peu pompeuses, la tessiture reste un exemple d’homogénéité et de brillance dans une performance aussi ingrate vocalement. Les aigus redoutable de la partie du Tambour-major ne posent pas de problème majeur à Gordon Gietz. En revanche, c’est plutôt le registre grave qui est à la peine. L’on sent que sa présence est d’abord due à une prise de son généreuse. Robert McPherson est un Andres au timbre brillant et à la présence poétique et charmante, même si l’accent yankee fait quelques ravages au pays de Büchner. Katherine Ciesinski utilise ce qui lui reste de timbre pour une Margret racoleuse. La voix n’est pas des plus agréables, mais le personnage est incarné dans toute sa débauche. Les deux apprentis Calvin Griffin et Samuel Schultz complètent la distribution de leurs interventions honnêtes et modestes, et les chœurs de la Shepherd School of Music et du Houston Grand Opera apportent l’éclairage final nécessaire aux quelques scènes de l’acte 3.
Malgré les premières impressions positives, le Houston Symphony mené par Hans Graf ne parvient pas à nous convaincre pleinement. Le chef et l’orchestre s’efforcent pourtant de nous montrer ce que la partition propose de modernité. On entend le moindre détail orchestral, l’ultime fourmillement dans les bassons, contrebasses et autres bas-fonds de l’orchestre, mais cette volonté du détail s’effectue au détriment de la clarté. Les contrastes sonores n’étant qu’à moitié soulignés, c’est toute la forme qui semble amoindrie dans sa puissance, et on ne sait trop si la faute est à reporter sur le chef ou sur la prise de son qui laisse paraître beaucoup de bruits de déplacements depuis le plateau.