Depuis quelques années, l’oeuvre de Giacomo Meyerbeer connait un début de renaissance. Ses principaux ouvrages n’ont certes jamais quitté l’affiche, mais les productions s’en sont multipliées, en particulier outre-Rhin. Très attachée au compositeur qu’elle apprit à apprécier, étudiante, grâce à la cantate Gli Amori di Teolinda, Diana Damrau souhaitait depuis dix ans enregistrer un album qui lui soit consacré. C’est chose faite et le résultat dépasse toutes nos espérances. Avec onze airs extraits de dix ouvrages (sur un total de dix-sept opéras), le soprano allemand nous offre un magnifique tour d’horizon de plus de cinquante années de création artistique.
Si le programme du CD papillonne d’une décennie à l’autre, variant les ambiances et les styles, nous reviendrons à la chronologie de composition par commodité éditoriale. L’air d’Irene, extrait d’Alimelek oder dei beiden kalifen (1814) est assurément une perle rare. Il s’agit même d’une première mondiale. C’est déjà l’oeuvre d’un musicien accompli de 22 ans seulement (on songe à la précocité de Rossini, son ainé de 6 mois). La mélodie en est d’une étonnante originalité et d’une orchestration particulièrement soignée. Damrau y exprime avec le plus parfait legato la mélancolie de l’héroïne puis, avec une délicatesse charmante, sa joie résolue. Les extraits d’Emma di Resburgo (1819) et d’Il Crociato in Egitto (1824) illustrent la période italienne du compositeur. L’Europe ne jure alors que par Rossini, et Meyerbeer en subit l’influence. On trouvera dans l’air d’Emma des réminiscences musicales de la Cenerentola rossinienne, tant dans la partie lente que dans la cabalette virtuose qui suit et qui culmine au ré aigu. Meyerbeer n’en développe pas moins son propre style avec des accents dramatiques plus germaniques, qui préfigurent l’évolution tardive du romantisme. La grande scène de Palmide du Crociato est quant à elle d’une difficulté technique assez terrifiante. Diana Damrau y brille de mille feux avec des vocalises d’une parfaite fluidité, des trilles impeccablement battus, un aigu parfait et un legato admirable. Dramatiquement, la soprano exprime à merveille les différentes émotions de l’héroïne. Il n’y manque guère que le surcroît d’adrénaline qu’offre l’exécution en public. Premier succès parisien, et bientôt international, Robert le Diable (1831) illustre la nouvelle manière du compositeur. Avec « Robert, toi que j’aime », Damrau manifeste une exceptionnelle intelligence du texte, variant les accents à plaisir (et surtout à bon escient) dans les multiples « Grâce pour moi » (tantôt fragile, implorant …) et « Grâce pour toi » (impérieux, suppliant …). Du plus pur belcanto. Les Huguenots (1836) n’offre qu’un air à la reine Marguerite, mais quel air ! « Ô beau pays de la Touraine » en vaut bien trois (quelle idée de l’avoir légèrement coupé !). Dans sa partie lente, chantée avec abandon, Damrau exprime parfaitement l’ambiance douceâtre des plaisirs de la cours et la rêverie de la reine. Pour les parties virtuoses, on garde en mémoire des variations plus corsées (y compris par Damrau elle-même à la scène à Frankfort en 2002) : la strette finale, avec ses superbes contre-ré et contre-mi, est un éblouissant feu d’artifice vocal.
En 1842, le nouveau roi, Frédéric-Guillaume IV, adopte des mesures émancipatrices vis à vis des Juifs de Prusse. Meyerbeer est nommé Generalmusikdirektor suite au départ de Spontini. Il exercera des fonctions officielles jusqu’en 1848. C’est dans ce contexte qu’il compose Ein Feldlager in Schliesien (1844), à la gloire du nouveau roi, un ouvrage qui se revendique « prussien ». L’extrait permet de mesurer le chemin parcouru depuis Alimelek. A la scène, le rôle de Vielka demanderait une voix a priori plutôt large, mais l’enregistrement permet à Damrau d’y être totalement convaincante grâce à son engagement dramatique.
De retour à Paris, Meyerbeer offre un nouveau « Grand Opéra » : Le Prophète (1849). Dans l’air d’entrée de Berthe, Damrau est une touchante jeune fille évoquant son émoi à l’attente de son fiancé, avec une variété d’accents dramatiques d’une grande justesse. Le soprano sait ainsi alléger et colorer sa voix pour incarner un personnage tour à tour amoureux, impatient, rêveur ou enthousiaste. Si la prononciation est un brin perfectible, l’exécution technique est remarquable avec ses trilles parfaitement exécutés et un suraigu (jusqu’au contre-mi) apparement sans effort. Adapté d’Ein Feldlager in Schliesien pour Paris, L’Etoile du Nord (1854) est sans doute l’opéra français le moins connu du compositeur. Damrau dialogue ici avec deux flûtes dans une composition qui préfigure Dinorah, ou le Pardon de Ploërmel avec des vocalises jusqu’au contre ré, mais sans la justification dramatique de ce dernier opus. A l’écoute de la scène de folie complète de Dinorah, il est clair que l’ouvrage trouverait avec Diana Damrau une interprète idéale à la scène. La soprano sait en effet avec justesse exprimer les alternances d’ambiance, de la mélancolie du « Sais-tu bien qu’Hoël m’aime » à la douce gaité de la valse « Ombre légère ». Au delà des performances purement vocales de la chanteuse (mi bémol et ut dièse pour la cadence finale) , ce sont ses qualités d’expression qu’il faut ici souligner. Il est rare par exemple, « d’entendre un chanteur sourire » ce que Damrau réussit parfaitement. Après Alice et Isabelle dans Robert le Diable, Valentine et Marguerite des Huguenots, Berthe et Fidès pour Le Prophète, Meyerbeer choisit une fois de plus pour L’Africaine (1865) la complémentarité des voix féminines de Sélika et Inès. Mais cette dernière ne se voit pas offerte de pages virtuoses : au fil des années, les sopranos coloratures légères ont plutôt déserté l’Opéra de Paris pour l’Opéra-comique. Dans la belle scène de l’acte V, généralement coupée (la composition de l’ouvrage a été laborieuse), comme dans l’air d’entrée, Damrau exprime à merveille la pureté de l’héroïne au travers d’un timbre allégé, évanescent, avec de magnifiques piani. C’est certainement dans ces passages, d’une apparente simplicité, que la chanteuse nous surprend le plus.
Une fois écoutées ces pages si diverses et si superbement interprétées, on ne peut que saluer avec admiration et reconnaissance une telle performance artistique. On saluera également la direction attentive d’Emmanuel Villaume qui sait lui aussi rendre à merveille les subtilités orchestrales de ces partitions. On regrettera que la prise de son ne favorise pas assez les nombreuses interventions des musiciens solistes de l’excellent Orchestre de l’Opéra de Lyon. Les choeurs, quant à eux, manquent un peu de vaillance. Plusieurs artistes renommés sont sollicités pour donner quelques répliques. Enfin, cerise sur le gâteau, ce CD est également un bel objet, avec notice en français, texte des airs et de nombreuses photos. N’attendez pas Noël !