Nous l’avons raconté à plusieurs reprises : le parcours de Pretty Yende – soprano sud-africaine élevée dans un township, applaudie aujourd’hui sur les plus grandes scènes internationales et iconifiée dans son pays – s’apparente à un conte de fée. Une nouvelle page s’écrit avec Dreams, un an après A journey, son premier album. Si incontestablement douée soit la jeune chanteuse révélée par le Belvedere en 2009, ce nouvel enregistrement n’est-il pas précipité ? Dans un programme proche de celui de son récital parisien en juin dernier, Pretty Yende confirme les fragilités alors constatées, à commencer par la prononciation du français, difficilement compréhensible tant dans l’air de Juliette en ouverture de récital que celui de Dinorah quelques numéros après. Le vocabulaire belcantiste demeure limité. La rareté des messa di voce, l’inexistence du trille limitent la palette d’effets. Le suraigu, certes vertigineux, n’est pas toujours d’une précision irréprochable (même s’il est plus en place qu’au concert). La caractérisation parait souvent simple. La présence du chœur et de partenaires chargés de donner la réplique – Ilaria Sicignano, Pierro Pretti, Marco Olivieri, Carlo Lepore – n’y change rien (mais le studio n’aide pas à approfondir l’expression). Autant de réserves qu’il serait possible d’estomper, voire d’effacer, à condition de prendre le temps de parfaire un indéniable talent. Ne pas se laisser emporter par le flot du succès pour continuer de vivre dans ce rêve, ainsi que le chante Juliette.
On reste néanmoins stupéfait de la longueur et l’agilité d’une voix dont la chair pulpeuse n’est pas le moindre des atouts. Voilà un soprano naturellement lyrique devenu capable de coloratures à force de travail et non l’inverse, ce qui dans ce répertoire est appréciable. Des variations échevelées, des notes ajoutées à des hauteurs stratosphériques maintiennent l’attention en éveil. La création, en collaboration avec Giacomo Sagripanti et le pianiste Kamal Khan, d’une cadence pour la scène de folie de Lucia fait partie des temps forts de l’album. Il ne s’agissait pas, pour Pretty Yende, de faire étalage de virtuosité – confie-t-elle – mais de montrer son respect, son estime pour le rôle (sic). De fait, l’ornementation reste spectaculaire mais la douceur rêveuse avec laquelle la voix flotte sur les cimes de la portée innocente Lucia de son crime. La cadence de la cabalette d’Amina dans La sonnambula ne se hisse curieusement pas au même sommet, au sens propre de l’expression. Pourquoi ne pas avoir pris le parti, comme tant de consœurs pourtant moins douées, de couronner d’un suraigu péremptoire ce feu d’artifice vocal que l’on voudrait encore plus jubilatoire ? La baguette de Giacomo Sagripanti, dans cet ultime numéro, n’en parait que plus lourde quand le chef d’orchestre auparavant avait mené l’Orchestra Sinfonica di Milano Giuseppe Verdi avec une probité exemplaire, instaurant un véritable dialogue avec la soprano, notamment lors de la scène finale de La straniera. « C’est dans ce type de rôle un peu moins léger que ma voix finira probablement par se sentir chez elle », suppose Pretty Yende. Probablement, à condition de ne pas céder au rythme effréné de notre époque.