A l’approche du bicentenaire de sa naissance, et alors que l’on remonte régulièrement des titres moins fréquentés d’Offenbach, La Fille du tambour-major semble rester dans les limbes, et aucun théâtre n’a tenté d’imposer l’œuvre – au contraire des troupes amateurs, à qui elle ne pose apparemment aucune difficulté. De la décennie qui a suivi la guerre de franco-prussienne, Le Voyage dans la lune (1875) est la seule œuvre à s’être imposée à notre époque : rien ne prouve en effet que les reprises récentes de Fantasio ou du Roi Carotte, datant l’un et l’autre de 1872, parviendront à imposer ces titres. La saison prochaine verra renaître Maître Peronilla et Madame Favart (1878 l’un et l’autre) : faisons confiance au Palazzetto Bru Zane pour mener à bien ces résurrections.
Peut-être faudrait-il un Laurent Pelly pour ranimer le corps de La Fille du tambour-major, lui dont l’intervention a si bien réussi sur La Fille du régiment. En l’absence de réécriture ou de réactualisation, le livret paraît assez désespérément conventionnel et reposer sur ces ficelles du mélodrame dont le jeune Offenbach avait livré une désopilante parodie, par exemple dans Mesdames de la Halle, avec comme principaux ingrédients la sensiblerie et le patriotisme cocardier (l’intrigue se situe en Italie à l’époque de son invasion par l’armée napoléonienne, en 1800). Musicalement, la postérité n’a guère retenu que les couplets de Stella et la romance du tailleur amoureux, sans oublier une belle ouverture en forme de pot-pourri.
Le concert radiodiffusé de 1957 que propose aujourd’hui le label Malibran se situe chronologiquement entre le plus ancien des enregistrements disponibles (1947) et l’intégrale de 1962, avec Christiane Harbell dans le rôle-titre et André Mallabrera en Griollet. En matière de respect de la partition, on se situe à mi-chemin entre la sélection d’extraits gravée en 1966, avec notamment Nadine Sautereau, Michel Dens et Rémy Corazza, et l’intégrale de 1962. La version Malibran est très coupée au dernier acte, dont manque l’essentiel ou presque, et même l’ouverture est réduite à la portion congrue (y manquent les deux tiers de la musique, soit toute la partie centrale où sont cités la valse du 2e acte et le duo « J’ose vous le dire »).
Le rôle-titre est assumé par Lina Dachary, pilier de tant de concerts d’opérettes des années 1950 et 1960 : toute une époque, mais aussi tout un style, et aussi une voix un peu pointue qui peuvent agacer l’auditeur d’aujourd’hui. De Griollet, Michel Hamel possède le timbre haut-placé et la gouaille, mais d’autres ont su prêter au personnage des accents plus suaves. Willy Clément est un solide Robert, même si la voix ne sonne pas très jeune pour un jeune premier. Lucien Lovano, déjà présent dans le concert de 1947, défend de son mieux le personnage conventionnel de Monthabor. D’ordinaire si charmante, Claudine Collart ne peut pas non plus faire grand-chose de la cantinière Claudine.
Il y a infiniment plus d’esprit dans le livret dans la musique de La Chanson de Fortunio (1861) ; hélas, la version enregistrée en 1963 transforme entièrement la distribution, qui inclut normalement cinq rôles travestis. Tous les clercs de maître Fortunio, prévus pour des sopranos en travesti, deviennent ici des ténors ou des barytons, ce qui modifie totalement l’identité de l’œuvre (les quatuors pour voix de femmes, le rôle « masculin » de Valentin).