Si Henri Marteau est un compositeur français à peu près inconnu de ses compatriotes, il y a de bonnes raisons à cela. Né à Reims en 1874, de père français et de mère allemande, Marteau se fit surtout connaître de l’autre côté de la frontière, puis finit par adopter la nationalité suédoise, même si à Lichtenberg, en Haute-Fraconie, qu’il mourut en 1934. C’est d’Allemagne que vient ce disque, deuxième volume d’une série intitulée « Haus Marteau » (en 1912, le compositeur s’était fait construire à Lichtenberg la villa qui porte toujours son nom). Le premier volume, consacré à des œuvres instrumentales, incluait malgré tout les Huit Lieder op. 10, pour voix et quatuor à cordes, interprétés par la soprano Julie Kaufmann. Ce volume 2 est exclusivement vocal, mais il présente néanmoins une étrange disparité de contenu.
Autant commencer par le meilleur, et le plus inattendu : les Fünf Schilflieder pour baryton, alto et piano, opus 31, et ici enregistrés par… Dietrich Fischer-Dieskau en 1956. Ces « Chant du roseau », sur des poèmes de Lenau, ont été composés en 1923, soit à peine plus de dix ans avant la mort de Marteau. Outre l’excellence bien connue de leur interprète, ces pages sont d’une grande expressivité, d’une certaine liberté formelle, et l’association des instruments contribue aussi à créer une atmosphère douloureuse. Si le baryton allemand avait choisi de les chanter et de les enregistrer, même en début de carrière, c’est sans doute parce que ces lieder lui avaient semblé dignes d’intérêt, et on le comprend. Tirée des archives sonores du Norddeutscher-Rundfunk, cette bande était jusque-là restée inédite, semble-t-il.
Hélas, le reste du disque n’est pas du même tonneau. Les deux autres recueils datent l’un de la même époque (cinq ans après la Première Guerre mondiale), l’autre de plusieurs années auparavant (entre 1915 et 1917). Curieusement, l’opus 31 sonne beaucoup plus audacieux, plus « moderne » que l’opus 28 pourtant contemporain. Quand aux Huit mélodies opus 19c, elles sont encore un peu moins originales. Encore faudrait-il pouvoir en juger sereinement, ce qui ne permet pas tout à fait ce disque.
Quelle étrange idée, en effet, d’être allé chercher Vesselina Kasarova pour interpréter cette musique ! La mélodie n’a jamais vraiment été le terrain d’élection de la mezzo bulgare, même si elle a jadis enregistré quelques disques de lieder (Schumann-Brahms-Schubert) ou de musique française (Fauré-Ravel-Chausson). Au point où elle en est de sa carrière, la chanteuse ne peut plus guère nous offrir qu’un assez indigeste gloubiboulga, collection d’aigus arrachés et de notes hésitantes ou carrément fausses, le tout entaché d’un vibrato un peu envahissant. Si l’artiste traverse une crise vocale, c’est bien regrettable, mais n’y avait-il personne pour s’en rendre compte chez Solo Musica ? Quant au français, puisque l’opus 19c est inspiré par des poèmes de Sully-Prudhomme et de François Coppée, on est apparemment loin de l’époque où Vesselina Kasarova enregistrait une intégrale respectable de La Favorite ou de Dom Sébastien, roi de Portugal. Le site www.lieder.net permet de lire les textes (qui ne figurent pas dans le livret d’accompagnement du disque) et l’on comprend alors que c’est un festival de voyelles transformées et de consonnes estropiées. Dommage pour la pinaiste Galina Vracheva, qui remplit très correctement son contrat. Dommage surtout pour Henri Marteau, car il n’est pas sûr qu’un autre label lui redonne sa chance de sitôt.