Publiés à Venise, puis à Rome (la France ne conserve que deux d’entre eux), ne nous sont parvenus que 8 recueils du compositeur, édités entre 1626 et 1664, période charnière dominée par Monteverdi, puis Cavalli. Les madrigaux à 5 voix qui font l’objet de cet enregistrement sont exactement contemporains du célèbre Huitième livre de madrigaux du premier, ouvrage composite avec, entre autres, Il Ballo delle ingrate et Il Combattimento di Tancredi e Clorinda, composés bien en amont. Comme le rappelle la notice d’Olivier Rouvière, le madrigal achève alors sa brillante histoire pour céder la place à l’opéra et à la cantate. La dédicace au cardinal (*) Barberini – reproduite dans la plaquette – est explicite. Si la formation du compositeur est mal connue, la qualité de son œuvre, son prestige aussi, ne laissent aucun doute : depuis son premier opéra jusqu’à ses œuvres ultimes, il participe pleinement à l’évolution du langage en expérimentant dans nombre de domaines, de l’écriture à la notation.
Depuis l’enregistrement de 11 des Sacrae Cantiones, en 1991, par René Jacobs, une demi-douzaine de CD ont été consacrés à l’œuvre de Mazzocchi, touchant à tous les domaines de sa production (**), sauf aux madrigaux que nous révèlent maintenant Etienne Meyer, Judith Pacquier et leurs Traversées baroques. Des vingt-quatre que contient le recueil, quatorze ont été retenus, rompant quelque peu l’organisation des trois groupes de huit.
A l’égal de la grande école du madrigal, Mazzocchi choisit ses textes (Paoli, Marino, Ciampoli, Guarini, Tasso et autres), voire les rédige, avec un soin tout particulier. Les vertus expressives en sont la première caractéristique, avec une illustration littérale, figuraliste, de chaque mot ou expression. De surcroît, il use de signes de notation originaux pour piano, forte, écho, messa di voce et d’autres. Mazzocchi écrit dans sa dédicace qu’ils étaient parfois exécutés avec un consort de violes. Les Traversées baroques, dans leur formation habituelle, réalisent la basse et enrichissent les mélodies des timbres des cornets (et flûte) ou des cordes. La pièce la plus importante est une Passacaglie. Dialogo à trè, qui renvoie à Monteverdi, savoureux tableau où s’épanouit la rhétorique baroque. Si le Di marmo siete voi est admirablement chanté a cappella, c’est le plus souvent somptueux, et l’on se prend à regretter qu’un consort de violes, seul, en fonction du texte illustré, rompe parfois ce luxe quasi opératique. Les trois madrigaux sur des poèmes de Ciampoli forment un magnifique ensemble, contrasté à souhait. On retrouve avec bonheur le Chiudesti i lumi (de Torquato Tasso), seule pièce souvent illustrée et justement célèbre, puisqu’il s’agit de la déploration d’Armide. Auparavant, Lidia ti lasso, O dio, purement instrumental, permettait de renouveler les textures. La virtuosité vocale se développe dans le Sù da monti. Pian piano aure tranquille, que nous avait révélé William Christie il y a longtemps, est d’une rare délicatesse. Ne manque au puriste que cette italianità, ses couleurs et sa rondeur. L’ensemble des pièces retenues nous offre un tableau riche en ombres et en lumières, dont la force et la sensibilité n’appellent que des éloges. Voix et instruments tissent leurs lignes vives et élégantes.
La notice, signalée, plus haut, trilingue (anglais, français, allemand) comporte les textes chantés et leur traduction française, sans mentionner les formations adoptées pour chaque madrigal.
Un enregistrement bienvenu, remarquablement réalisé, essentiel pour tout amateur de musique baroque, dont le seul regret est qu’il ne nous restitue pas la totalité du recueil.
(*) Maffeo, futur Urbain VIII, ou l’un de ses neveux, Francesco et Antonio, eux-mêmes devenus cardinaux ? Olivier Rouvière penche pour Francesco, à la différence d’autres spécialistes.
(**) à retenir particulièrement, La Catena d’amore, opéra de 1626, gravé en 2011 par Nicolas Achten