« Lacheln trotz Weh und tausend Schmerzen » : sourire malgré la douleur et mille souffrances. Voilà la morale d’une opérette qui, à première vue, n’a pas grand-chose de joyeux ni de léger. Oubliez les amours heureuses et le happy end : le pays du sourire a tout l’air du pays des soupirs.
C’est en ce sens que semble travailler le metteur en scène Andreas Homoki qui renonce à tout ce que l’œuvre pourrait avoir de kitsch. Les amateurs d’intérieurs viennois et d’exotisme seront déçus : les décors de Wolfgang Gussmann, d’une grande épure, ne se réfèrent à aucun pays évoqué dans le livret. Avec le mur de scène habillé de couleurs criardes, l’immense escalier, l’imposant rideau à paillettes (sans arrêt ouvert puis refermé !) et les chorégraphies dignes de Broadway, on tire même plutôt vers le music-hall.
Effacer les lieux provient sans doute d’un souhait d’universaliser le propos : Das Land des Lächelns est avant tout une fable sur la rencontre impossible entre les cultures et les êtres. Le metteur en scène se concentre ainsi d’avantage sur les protagonistes que sur le temps et les lieux : seuls les costumes permettent d’identifier l’origine géographique des personnages. L’opérette sera ici moins une affaire d’action que de sentiments.
Pour cela, Andreas Homoki se défait d’une partie des dialogues. L’œuvre se rapproche dès lors de l’opéra, mais en souffre un peu : certaines scènes apparaissent comme une juxtaposition de numéros musicaux et perdent en efficacité dramatique. C’est précisément ce en quoi les duos entre Lisa et le Prince Sou-Chong manquent de force : l’intensité musicale n’est secondée ni par un texte, ni par la direction d’acteurs, qui laisse les héros un peu désœuvrés sur le plateau, coincés entre deux fauteuils ou se poursuivant à répétition dans des escaliers trop vastes pour eux. Il nous manque une proposition dramaturgique forte pour adhérer pleinement au parti pris du metteur en scène.
En effet, il est plus que louable de vouloir donner aux personnages une profondeur ; mais aussi dramatique que soit son issue, l’opérette repose avant tout sur un mélange des registres : parlé et chanté, rire et larmes, sentiments et action, gravité et légèreté. En dépit de l’apparente recherche de drame du metteur en scène, ce sont les scènes comiques et celles à grand spectacle qui sont les plus réussies ici. C’est dans le duo entre Mi et Gustl (« Meine Liebe, deine Liebe ») ou la chorégraphie de « Von Apfelblüter einen Kranz » qu’Homoki se révèle le plus convaincant, peut-être malgré lui, convoquant avec talent le comique et le divertissement.
Cette production bénéficie heureusement de solistes de choix. Julia Kleiter trouve dans le rôle de Lisa un bel équilibre vocal entre opéra et opérette. La voix est saillante, vibrante, et la soprano donne une émouvante évolution dramatique à son personnage. De l’assurance des débuts aux adieux déchirants, de l’amour heureux à la nostalgie, l’héroïne se pare d’une multitude de sentiments et d’attitudes qui viennent équilibrer les faiblesses de la mise en scène.
Piotr Beczala lui offre un très beau contraste en Prince Sou-Chong. S’il n’a pas le physique du rôle, il en a toute la délicatesse et l’élégance. Malgré quelques imprécisions quant au legato dans le premier air, la voix se révèle très vite solaire et d’une pureté idéale pour ce répertoire. Il suffit d’écouter « Dein ist mein ganzes Herz », cheval de bataille de tous les ténors, pour s’en convaincre. Mais on peut aussi lui préférer le duo « Wer hat die Liebe uns ins Herz gesenkt », où le ténor nous offre un aigu superbe.
Un couple parfait donc, qui trouve en Mi et Gustl un contrepoint tout à fait convaincant. Rebeca Olvera et Spencer Lang ont la voix et la vis comica nécessaires pour leur rôle, sans jamais tomber dans l’outrance. Ils se révèlent au contraire touchants et attachants.
Les petits rôles de Cheyne Davidson et Martin Zysset, s’ils ont peu d’importance musicalement, tirent leur épingle du jeu scéniquement, tour à tour inquiétants ou facétieux.
A la tête du Philharmonia Zürich, Fabio Luisi rend audibles les contrastes de la partition et accompagne avec conviction l’action et les sentiments des personnages. L’orchestre offre un son dense, riche – notamment grâce à ses solistes – et son investissement ne faiblit jamais. Das Land des Lächelns est sans doute un drame autour de l’altérité ; mais la musique de Lehár est aussi vecteur d’une foule d’autres choses : la tendresse, l’amour, la nostalgie, l’humour, que le chef illustre avec brio.
Si le metteur en scène a voulu mettre en valeur la part plus sombre de l’œuvre, c’est la part légère qui se révèle la plus réussie dans cette production. Les amateurs d’opérette regretteront sans doute des décors plus travaillés et le charme viennois, mais ce DVD bénéficie d’une distribution de choix qui vient atténuer les faiblesses scéniques.
Pays des soupirs ou pays du sourire ? Le Prince Sou-Chong avait raison : le sourire gagne toujours.