Yannick Boussaert avait eu la chance d’assister à l’une des représentations de cette nouvelle production de Giovanna d’Arco, œuvre revenue dans les murs scaligères après une très longue éclipse, ce qui en faisait en soi un événement. Dans sa distribution, le DVD tiré de ces soirées ne diffère de ce compte-rendu que pour le Giacomo de Carlos Álvarez. Certes, notre confrère avait souligné les qualités de Devid Cecconi, qui avait assuré les trois premières représentations en remplacement du baryton espagnol, souffrant. Nous ne pouvons bien sûr pas comparer, mais ce dernier se montre sur ce disque souverain de bout en bout, dans ce rôle que la mise en scène fait apparaître comme torturé et quelque peu fanatique, du moins dans la tête un brin dérangée de Giovanna. La partition ne fait pas faire au baryton de grands écarts meurtriers, mais exige comme souvent beaucoup de souplesse, de ce cantabile, qui rend les rôles verdiens souvent si beaux pour cette voix. On peut trouver Álvarez un rien monolithique, il n’en est pas moins touchant.
Naturellement, une captation vidéo et ses jeux techniques ne peut donner qu’une idée du niveau de ce qu’on entend, ce qui ne saurait être comparé à l’appréciation qu’on peut en avoir in situ. Mais clairement, Anna Netrebko impressionne. C’est un chant glorieux qui se déploie, se jouant assez aisément des pièges du rôle comme le soulignait le commentaire du spectacle. Ce qu’on voit à l’écran, parfois de manière trop appuyée – ces gros plans sur les personnages sont d’ailleurs souvent peu flatteurs et sans grand intérêt – c’est surtout la force de l’engagement dans le rôle. L’héroïne est souvent hallucinée, comme possédée et son jeu est très crédible. Elle épouse ainsi tout à fait le choix des metteurs en scène Moshe Leiser et Patrice Caurier de nous emmener en voyage dans les rêves peuplés de visions et de cauchemars d’une jeune malade mentale clouée sur son lit. Choix qui a ses mérites et qui fonctionne plutôt bien, mais qui se heurte parfois à un problème de lisibilité, puisqu’on peut tordre beaucoup de choses sauf le texte lui-même. La réalisation permet cependant de profiter de la beauté plastique de certaines scènes, comme certaines projections vidéos –pour une fois plutôt bien pensées- ou encore l’élévation d’une immense cathédrale venue de sous la scène. Beauté plastique dans ce dernier cas contrebalancée par l’entrée un peu grotesque de Giacomo qui se cache derrière une rosace qu’il fait rouler. Ma foi, les cauchemars permettent tout, n’est-ce pas ? Autre scène assez peu réussie, celle des démons qui viennent harceler Giovanna lorsqu’elle cède à son amour pour le roi. Ces monstres sont plus cocasses qu’effrayants et se contorsionnent de façon quelque peu ridicule.
On peut ne pas apprécier le timbre très reconnaissable de Francesco Meli. Il n’en reste pas moins un Carlo remarquable, comme souvent un peu tendu dans les aigus, notamment dans le premier acte, qui le sollicite beaucoup. Son personnage un peu pleutre contraste avec la flamboyance de son armure, statue vivante inspirée peut-être de celle, équestre, de Jeanne d’Arc à Paris. Là encore, certains très gros plans auraient pu être évités.
Les autres solistes, Dmitry Beloselskyi (impressionnant Talbot) en tête sont à la hauteur de leur – brêve – apparition.
Le chœur de la Scala est mis en valeur par l’enregistrement. Magnifique, il est aussi remarquable dans les fortissimi que dans ses interventions plus discrètes. Une ovation méritée l’accueille au rideau final.
Riccardo Chailly, qui aime cette œuvre, ne cherche pas à nous faire croire que c’est un Verdi de la trempe d’un Don Carlos ou d’un Otello, bien sûr. Mais il en fait ressortir toute l’intelligence mélodique si caractéristique, celle qui est au service du drame et qui nous envoute. Il joue sur les tempi, les contrastes, il fait chanter un orchestre aux petits soins avec une concentration des grands jours qu’on n’a aucune peine à percevoir dès l’ouverture, laquelle montre le chef, visage sévère, tendu comme un arc, totalement immergé dans la musique. Jusqu’aux mesures finales où la caméra revient sur lui, yeux clos, le front contre la baguette. Il faut dire qu’il peut compter sur d’excellents instrumentistes, avec une mention spéciale, au moins dans cet enregistrement, pour la petite harmonie, si poétique, notamment dans l’ouverture. Même si ce sont clairement les voix qui sont mises en avant par cet enregistrement, l’orchestre n’en est pas trop effacé pour autant et l’équilibre global reste satisfaisant.