Un nouveau disque de Vivica Genaux pique toujours la curiosité des amateurs friands de redécouvertes. Pour les inédits, il faudra pourtant patienter, car la mezzo-soprano américaine signe un retour à Vivaldi en abordant des pages sacrées bien connues.
Du point de vue éditorial, quelle indigence ! Pas vraiment de présentation, mais plutôt une brève note d’intention proposée en anglais et en allemand uniquement, tout comme la traduction des textes latins. On ne trouvera pas de biographie des artistes, ni même l’effectif détaillé du Wiener Kammerchor. Du reste, on se demande bien pourquoi le texte n’évoque que la dernière année de Vivaldi, mort à Vienne en 1741 sans y décrocher de poste officiel. De fait, Sony a sans doute paresseusement repris la présentation du concert donné dans la capitale autrichienne par les mêmes artistes en 2015, année de l’enregistrement. Tant pis pour qui ne connaît rien des œuvres proposées… Si l’on sait que Vivaldi a écrit certains de ses motets pour les filles de la Pietà et d’autres pour des castrats de Rome, la genèse d’In turbato mare irato et Sum in medio tempestatum reste un mystère. Ces deux pages ont en commun d’évoquer la mer en furie comme une métaphore de l’âme inquiète, parfait prétexte pour débuter par une aria di tempesta franchement opératique. Elles ont été retrouvées à Dresde, à une époque où la cour de Saxe multipliait les liens artistiques avec Venise (une bonne partie des chanteurs de la chapelle locale ayant été formés dans la Sérénissime), mais on ignore si Vivaldi a écrit ces motets spécifiquement pour cette cour, comme certaines cantates, ou s’ils sont antérieurs. Le même mystère entoure le Kyrie RV 587 en sol mineur, que les chercheurs datent des années 1720, et le Credo RV 591, probablement de la fin des années 1710. Le programme, bien composé, intercale ces deux œuvres purement chorales entre les trois pages dévolues à la soliste, qui ouvre et clôt le disque sur des motets brillants et réserve la place centrale au Nisi dominus RV 608 pour contralto.
Sous la direction de Rubén Dubrovsky, le Bach Consort Wien offre de séduisantes couleurs chaudes et boisées. Il est permis néanmoins de les trouver un peu trop uniment sombres, d’autant que l’orgue se fait des plus discrets. En outre, l’ensemble est soutenu par des harmoniques graves qui manquent çà et là de netteté : on apprécie la scansion d’« In turbato mare irato » mais le bouillonnement est un peu confus, les volutes des basses qui portent le deuxième mouvement du Kyrie sont trop estompées, le début du Credo devrait avancer plus fermement… Manifestement, l’homogénéité et la continuité ont été privilégiées aux contrastes, au risque d’une certaine platitude. Nonobstant ces réserves, l’accompagnement n’empêche pas d’apprécier le programme, en particulier les deux pages chorales confiées à un Wiener Kammerchor précis et convaincant. Vivaldi y fait preuve d’une recherche et d’une hauteur de ton appréciables (par exemple le « Crucifixus », largo au caractère singulier), et la confrontation de ces morceaux avec les motets résolument plus profanes est intéressante. Car ne nous leurrons pas, c’est pour Vivica Genaux que l’on vient !
La mezzo a décidément un timbre reconnaissable entre tous, aux graves particulièrement solides, mais qui restera affaire de goût. Les registres sont habilement contrastés, la vocalise possède un élan irrésistible et l’ornement des reprises témoigne d’une liberté et d’une aisance qui illustrent parfaitement la sprezzatura tant recherchée dans ce répertoire, cette facilité d’exécution sans laquelle la virtuosité devient laborieuse. Le premier motet constitue à ce titre une entrée en matière enthousiasmante, car plus qu’à Patrizia Ciofi ou Simone Kermes (pour citer d’autres gravures récentes), il convient idéalement à la voix et au tempérament de la mezzo. On pourra certes trouver ailleurs pureté vocale plus séduisante dans l’aria « Resplende bella », mais ici comme dans les récitatifs, l’interprète trouve une expression juste. Dans le célèbre Nisi dominus RV 608 pour contralto, probablement écrit pour une pensionnaire de la Pietà, celle qui a pu passer pour une machine à doubles croches fait preuve d’un beau sens des nuances, soignant la dynamique et les couleurs. Le premier mouvement, d’une fermeté péremptoire, s’enchaîne ainsi à un « Vanum est » souriant. Sans surprise, le très attendu « Cum dederit » n’offre ni la pureté de vitrail, ni la rondeur consolante de certaines interprétations ; Genaux réussit néanmoins à distiller le mystère de cette psalmodie aux colorations quasi orientales. Passé le Credo, la soliste revient pour un dernier motet qui convainc moins que le premier, auquel il fait écho. Dans ces motets, Andrea Marcon, Fabio Biondi ou Robert King, avec des options variées, ont laissé de meilleurs interprétations, sans parler d’un remarquable Fabio Bonizzoni en concert avec Roberta Invernizzi. Où sont les frémissements de l’onde, les vagues qui enflent ? La première aria piétine faute d’un orchestre capable de soutenir la métaphore marine. Tout en restant brillante virtuose, Vivica Genaux y est moins éloquente que dans « In turbato mare irato ». La seconde aria convoque une douce atmosphère encore teintée des troubles passés, et appelle peut-être un apaisement plus franc (« sum contenta, sum beata »). Cela étant, le choix expressif de l’Américaine est là encore défendu avec un art supérieur, notamment de vrais trilles. Son « Alleluia » final est véloce, mais l’orchestre ne lui permet pas de décoller vraiment.
L’impression globale reste bonne, avec deux précieuses interprétations vocales des motets virtuoses, un Nisi dominus qui surprend positivement et un programme avantageusement complété par le Wiener Kammerchor. Cependant, comment s’empêcher d’espérer que la tempête Vivica revienne à l’opera seria galant, où elle fait merveille ?