Les récitals d’arias de cantates, des passions ou d’oratorios de Bach sont légions. Quel chanteur ayant fréquenté l’œuvre du Cantor pourrait y résister ? La première version de l’édition monumentale, il y a plus d’un siècle, s’accompagnait déjà de fascicules destinés à chacune des voix, pour constituer des anthologies qui conservent leur pertinence.
Peu connu de ce côté-ci du Rhin avant de signer chez Sony en 2016, Benjamin Appl peut se prévaloir de sérieuses références. Le dernier disciple de Dietrich Fischer-Dieskau marche dans ses traces, illustrant de façon aussi éclectique l’opéra, l’oratorio et le lied, à travers quatre siècles de production lyrique. On ne sait trop à quel public ce CD est destiné, à moins que ce ne soit le plus large, chacun pouvant y trouver son compte. Le néophyte aura un large éventail de la production de Bach, couvrant toute sa carrière, religieuse comme profane, avec, cerise sur le gâteau, le célébrissime choral « Jesus bleibet meine Freude » [Jésus, que ma joie demeure] en finale. Le spécialiste et l’amateur reconnaîtront çà et là telle aria ou telle sinfonia et ne pourront s’empêcher de comparer à leurs versions « de référence ». Sans doute cet enregistrement est-il destiné à marquer un jalon dans la carrière déjà riche de ce baryton. Le fringant quadragénaire, au physique de jeune premier, est un séducteur. De Fischer-Dieskau, il a le médium de velours, une qualité de diction exemplaire, la longueur de voix. Là s’arrête la comparaison. La voix est jeune, saine, claire, sonore, égale et expressive. Mais où doit s’arrêter l’expression dramatique pour ne pas risquer de tomber dans une certaine affectation ?
Le programme varié, qui s’écoute sans jamais la moindre lassitude, sort des sentiers battus, et nous vaut des découvertes ou d’heureux rappels. L’enregistrement s’ouvre sur le bel air « Willkommen, werter Schatz » [bienvenue, trésor de grande valeur], parfaitement approprié, qui ouvre la seconde partie de la cantate 36 « Schwingt freudig euch empor ». La sinfonia (adagio assai) de « Ich hatte viel Bekümmernis » (BWV 21) permet au violon et au hautbois d’entrelacer leur mélodie, et de rappeler l’excellence du Concerto Köln. Suivent trois numéros de la Passion selon Saint-Matthieu (74 et 75, puis 51), où l’arioso du crépuscule introduit l’air confiant du chrétien. L’air de bravoure « Gebt mir meinem Jesum wieder » est chanté avec la vigueur requise. S’intercale intelligemment « Es ist vollbracht » [Tout est consommé], emprunté quant à lui à la cantate 159. Trois arias extraites de cantates profanes font suite. La sinfonia de la Cantate des paysans, dans l’esprit des musiciens de village, tourbillonnante, est dépourvue de la robustesse attendue. L’air suivant, repris dans cette dernière cantate, est tiré du Combat de Phoebus et de Pan BWV 201. Pan y mène la danse, et son excitation grandit au fil des couplets, accompagné par l’orchestre le plus riche. De l’Oratorio de Noël, la Renommée chante ensuite le triomphe de la Reine de Pologne, mais son air est dépourvu de la majesté qu’appelle le texte. La trompette soliste se retrouve aussitôt dans la sinfonia finale de la cantate 75 « Die Elenden sollen essen ». Des plages suivantes nous retiendrons la voix du prophète « Siehe, ich will Fischer aussenden » (BWV88 n°1), avec les cors , où la pastorale suivie d’un allegro quasi presto n’appelle que des éloges. Suit une autre pastorale (BWV 194 n°3) non moins réussie par Benjamin Appl. Le beau chant du hautbois de la sinfonia d’ouverture de « Ich steh mit einem Fuß im Grabe » souffre de ponctuations un peu trop accentuées de l’orchestre. Impétueux, violent, le récitatif annonciateur du Jugement dernier précède l’adagio « Seligster Erquickungstag » (BWV 70), lui-même suivi d’un presto contrasté. Le caractère dramatique en est parfaitement rendu. La sinfonia de « Christ lag in Todesbanden », de style archaïque, déçoit, très unie, trop lisse, dépourvue d’articulation. « Bist du bei mir », pièce intime s’il en est, empruntée au petit livre d’Anna Magdalena, assortie d’un continuo intelligemment réalisé, rayonne de confiance sereine. Appeler la dernière plage « bonustrack », c’est un peu faire semblant d’une aumône, alors que le minutage – chiche – autorisait quelques airs ou sinfonias supplémentaires. Le fait de confier à notre baryton la mélodie du célébrissime choral « Jesus bleibet meine Freude » n’est pas un crime contre nature, et mérite le pardon s’il constitue une concession qui provoque l’envie d’écouter le reste du programme.
Les qualités de Concerto Köln sont bien connues. Ici, les soli du hautbois, de la trompette, des cors participent à la réussite de l’enregistrement. Si la dynamique et les couleurs de l’ensemble sont incontestables, il n’en va pas de même de certains tempi et de l’articulation.
Une erreur (répétée) est à signaler dans le livret d’accompagnement : les extraits de Saint-Matthieu portent les numéros 74, 75, et 51, au lieu de 64, 65 et 42. En dehors de cette observation, la rédaction en est pleinement satisfaisante, les textes originaux sont traduits en anglais.